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Saint Joseph, un "cœur de père".
Pour le 150ème anniversaire de la proclamation de Saint Joseph comme Patron de l’Eglise catholique, le pape François a décrété une année spéciale dédiée à Saint Joseph qui a commencé le 8 décembre 2020 et se terminera le 8 décembre 2021. Il a, pour l’occasion, publié une Lettre apostolique nommée "Patris corde" ( "avec un cœur de père").
Le groupe Fra Angelico vous propose de découvrir quelques-uns des qualificatifs attribués à Saint Joseph par le pape François, à travers un choix d’ œuvres picturales.
On peut admirer de très nombreuses représentations de Saint Joseph, rarement seul d’ailleurs. Et pourtant, les Évangiles nous disent de lui très peu de choses. C’est dans les Évangiles de l’enfance de Matthieu surtout et de Luc qu’il faut trouver la première apparition de Joseph. Et ils ne rapportent jamais ses paroles. C’est donc souvent dans les Evangiles apocryphes que les artistes vont puiser leur inspiration pour évoquer les scènes qui sont éludées dans les Évangiles synoptiques.
I. Père dans l’obéissance
La Fuite en Egypte, de Juan de Borgoña.
Huile sur bois (vers 1535), conservée à Cuenca, Museo Diocesano Catedral.
H : 42cm ; L : 37,9cm
Juan de Borgoña est né vers 1470, un peu avant l’indépendance du duché de Bourgogne, et mort à Tolède vers 1536. Il n’a pas été trouvé de document permettant de retracer sa carrière avant qu’il soit mentionné en 1494 comme peintre au service de la cathédrale de Tolède. Son nom fait supposer une origine française, probablement dans le duché de Bourgogne. Certains traits de sa peinture laissent penser qu’il est allé se former en Italie, peut-être même dans l’atelier de Ghirlandaio.
La scène représentée ici, La Fuite en Egypte, est évoquée seulement dans l’Evangile selon Saint Matthieu (Mt 2,13) : "Voici que l’ Ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph et lui dit : "Lève-toi, prends avec toi l’enfant et sa mère, et fuis en Egypte." Pour la deuxième fois, après avoir accepté Marie pour épouse, Joseph obéit à Dieu sans hésitation (Matthieu raconte en effet quatre songes dans lesquels Joseph est informé du dessein de Dieu). Mais pas la moindre précision quant à ce qu’ont été les conditions de ce voyage, les étapes qui l’ont ponctué.
La scène que fait le choix de représenter Juan de Borgoña fait référence à l’ Evangile du pseudo-Matthieu : "Il advint que le troisième jour de leur départ, Marie se trouva fatiguée par l’ardeur du soleil dans le désert. Apercevant un palmier, elle désira se reposer un peu à son ombre. Joseph s’empressa de la conduire auprès du palmier et la fit descendre de l’ânesse. Quand Marie fut assise, elle leva les yeux vers la cime du palmier et la vit chargée de fruits. "Je voudrais, s’il est possible, dit-elle à Joseph, goûter des fruits de ce palmier" (...) Alors, le petit enfant Jésus, qui reposait sur le sein de sa mère, dit au palmier : "Arbre, incline-toi et nourris ma mère de tes fruits". Et obéissant à ces mots, le palmier inclina aussitôt sa cime jusqu’aux pieds de Marie, pour qu’on y cueillît des fruits dont tous se rassasièrent."
Peinte en plan rapproché, la scène se déroule à hauteur des yeux du spectateur qui suit le cheminement de la Sainte Famille arrivant de la droite. Ce qui frappe immédiatement, c’est la façon dont Bergoña a traité la profondeur de champ. Au centre du tableau, enveloppée dans un manteau noir, Marie est assise sur un âne à la robe gris foncé. Cette masse sombre occupe une grande partie de l’espace. Impression accentuée par la couleur de l’herbe au sol, de l’arbre et de son feuillage vert foncé, qui encadrent aux trois-quarts Marie et l’enfant Jésus qui se détachent sur un arrière-plan aux coloris clairs, allant de l’ocre transparent du cadre pierreux et désertique, au gris de Payne clair des montagnes et du ciel. La profondeur est créée par la perspective atmosphérique.
Borgoña accorde une grande importance à la lumière qui scande nettement les différents plans de la scène et modèle avec précision les trois personnages vus de profil ou de trois-quarts. La ligne de leurs silhouettes les fait se détacher nettement de l’arrière-plan et les pousse en avant, sous les yeux du spectateur. On reconnaît là l’influence de la peinture italienne du Quattrocento.
Toutefois, les auréoles qui ornent la tête des personnages, bien visibles, révèlent un beau travail de damasquinage, comme si un artisan habile avait gravé les auréoles d’or. L’art damascène est originaire de la ville de Damas. Quand les Maures ont conquis la quasi-totalité de la péninsule de ce qui était alors l’Espagne, ils ont apporté avec eux cet art dont Tolède s’est fait la spécialité.
Dans le coin supérieur gauche, retenu par Marie, inquiète comme toutes les mères, l’enfant Jésus, vêtu d’une tunique verte, se dresse sur la pointe de ses petits pieds nus pour saisir les dattes offertes sur la branche qui s’incline vers lui. Et l’âne profite de cette halte pour brouter quelques brins d’herbe ! Les bras tendus de la Vierge laissent voir les manches et quelques pans épars du tissu carmin de sa robe. Ces quelques touches rouges du vêtement attirent le regard et éveillent la masse noire du manteau.
Derrière le groupe formé par Jésus, Marie et l’âne, marche Joseph, campé de profil, son bâton de marcheur sur l’épaule, la main droite et le regard dirigés vers ces fruits que cueille l’enfant. Joseph a obéi à l’ange, envoyé de Dieu, en emmenant sa famille hors de la Judée, et il accède au désir de Marie de se reposer et de se restaurer. Il semble un peu isolé du groupe par sa position, son attitude et surtout la couleur éclatante et chaude de cette sorte de manteau rouge sans manches qu’il porte par-dessus sa robe verte. La palette du peintre est réduite : il utilise, pour les vêtements des personnages, seulement trois couleurs, le noir, le vert et le rouge qui se répondent. On peut aussi remarquer l’habileté de Borgoña à peindre les détails, infimes et rares, mais qui apportent une part d’humanité aux personnages, comme les boucles des poils de la barbe et des cheveux grisonnants de Joseph sous le bonnet, vert comme la robe.
Le peintre a représenté Marie encore assise sur l’âne et non au pied de l’arbre, comme il est dit dans l’Evangile du pseudo-Matthieu. Qu’importe ! L’arbre s’incline et, devant cet arbre qui obéit à son ordre, le Christ enfant lui-même cueille les fruits. Comment le fidèle douterait-il de ses pouvoirs ?
La pureté et la gravité de la composition mettent en lumière le rôle que joue Saint Joseph comme protecteur de la Sainte Famille dans cet épisode de La Fuite en Egypte. Les épreuves n’ont pas été épargnées à Joseph (Marie enceinte, la recherche d’un lieu pour qu’elle puisse accoucher, le danger devant Hérode, les nombreux déplacements et la recherche sans doute d’un nouvel emploi pour nourrir sa famille...). Face à tout cela, l’Ecriture témoigne qu’il était un "homme juste", rempli de foi, qui a répondu sans délai aux appels de Dieu. L’obéissance totale et immédiate de Joseph dans la foi en fait le collaborateur du dessein de Dieu. Il est le premier à entrer dans cette attitude spirituelle que Dieu demandera.
II. Saint Joseph, père dans l’accueil
Au tout début de son Evangile, après avoir retracé la généalogie de Jésus, Matthieu (1, 18-25) raconte la visite de l’Ange du Seigneur qui vient rassurer Joseph sur la grossesse de Marie. "Il prit alors chez lui sa femme." Saint Luc ne raconte pas cette apparition de l’ange à Joseph. Au moment du recensement, celui-ci se met en route pour Béthléem "avec Marie, sa fiancée, qui était enceinte". Les deux évangélistes ne disent rien du mariage ni des cérémonies qui ont lié Marie et Joseph. Il y a là un vide que les auteurs ultérieurs, et en particulier les apocryphes, vont tenter de combler en imaginant de toutes pièces une cérémonie de mariage.
C’est dans le Protoévangile de Jacques, le plus ancien des apocryphes, rédigé vers 200, et dans La Légende dorée de Jacques de Voragine (XIIIème siècle) que les artistes vont trouver l’inspiration pour évoquer ce mariage.
Le Mariage de la Vierge, de Raphaël.
Huile sur bois (1504), conservée à la Pinacothèque de Brera à Milan.
H : 1,70m . L:1,18m
Le peintre, Raphaël Sanzio, est né en 1483 à Urbino. L’œuvre est datée et signée sur le linteau au centre du porche du temple : MDIIII RAPHAËL VRBINAS
À l’origine, la peinture avait été commandée par la famille Albizzini pour la chapelle San Giuseppe de l’église San Francesco, à Città di Castello. Actuellement, une copie orne l’autel dans l’église d’origine.
Le tableau est directement inspiré de deux peintures du Pérugin dans l’atelier duquel se formait Raphaël : La Remise des clefs à Saint Pierre, pour l’architecture ; et Le Mariage de la Vierge, pour le sujet.
Le tableau à haut cintré peut se lire en trois plans. Au premier plan, se situe la scène du mariage avec les personnages. Au second plan, le dallage (qui se prolonge avec les marches d’un escalier) où sont disposés quelques personnages et dont la ligne de fuite conduit notre regard vers le troisième plan, c’est-à-dire vers le temple (inspiré du Tempietto de Bramante, modèle antique représentant la beauté et l’idéalisation), édifice polygonal typique de la Renaissance et sans aucun rapport historique avec le temple de Jérusalem. Mais, en même temps, il rappelle l’église du Saint-Sépulcre de Jérusalem par son plan circulaire. Ses seize côtés font que sa forme se rapproche du cercle.
Toute la composition de l’œuvre est basée sur un plan circulaire : la coupole du temple renvoie au tableau cintré, mais aussi, en écho, à la disposition en arc de cercle des personnages devant et vers l’arrière, ainsi que le pavement et même le paysage de collines en arrière-plan. Cela est accentué par un point de vue légèrement surélevé.
On remarque aussi la symétrie de la composition : autant d’hommes à droite que de femmes à gauche du grand prêtre. Si l’on divise le tableau verticalement en deux parties, l’axe passe exactement par l’anneau de mariage. Il en est de même si on partage l’œuvre horizontalement en deux : en bas les personnages, en haut le dallage et le temple ; ou en trois : la ligne du premier tiers en partant du bas passe encore une fois par l’anneau.
Raphaël utilise le pavement, dont il multiplie le prolongement, et la diminution de la taille des personnages selon leur éloignement pour créer l’effet de la perspective. Le point de fuite se trouve précisément dans l’ouverture de la porte du temple.
Double symbolique : tous les grands axes de la composition passent par l’anneau que Joseph enfile au doigt de Marie et les personnages de devant, disposés sur un demi-cercle, font que le regard du spectateur entre par l’ouverture rectangulaire qui transperce l’édifice de part en part, créant ainsi une "fenêtre" dans l’espace. De plus, deux des personnages — un de chaque côté, encadrant la scène— nous regardent et nous intègrent au tableau. Cette fenêtre ouverte sur l’infini, minuscule portion du ciel, est comme un œil divin par où l’incommensurable afflue au cœur du monde fini et mesurable.
Familiarisé aux problèmes de l’optique et de la perspective par son environnement artistique ( Urbino, ville d’Italie centrale, était un des pôles artistiques, scientifiques et militaires les plus importants de la Renaissance italienne avec Florence), Raphaël crée ici un espace ouvert et libre. Il innove et se détache d’une conception spatiale héritée du Quattrocento. Il s’agit là d’une œuvre charnière dans la carrière de Raphaël qui ferme la période juvénile et marque le début de la phase de maturité artistique.
Venons-en à la scène qui se déroule sous nos yeux. Toujours représentée dans un espace ouvert, la cérémonie du mariage a lieu devant le Temple de Jérusalem donc, où Marie a été élevée. L’union est bénie par le grand prêtre Zacharie, au centre, qui, dans une pose souple et naturelle, avec un léger mouvement de la tête, unit les mains de Marie et de Joseph à l’aplomb exact du temple.
Il est vêtu d’une longue robe s’arrêtant aux chevilles, dont on remarque le décor détaillé et raffiné de la ceinture ainsi que celui de sa coiffure et de son manteau dont les bords ondulent.
A sa droite, Marie, habillée d’une longue robe rouge et d’un manteau bleu drapé autour de son ventre, tend la main droite vers la main de Joseph pour recevoir l’anneau, symbole du mariage.
Elle porte sur la tête un léger voile transparent, presque invisible. La tête inclinée, son regard est dirigé vers l’anneau qui est au centre de la composition. Les femmes qui l’accompagnent ont chacune une attitude différente et leur regard se porte vers des objets différents. Aucune monotonie dans ces portraits.
A sa gauche, Joseph, campé sur le même plan que la Vierge, enfile solennellement l’anneau au doigt de sa fiancée. Il est vêtu d’une longue robe bleu-vert et un large tissu jaune d’or, au beau drapé, l’enveloppe en passant sur son épaule gauche qui nous révèle d’où vient la lumière du tableau. Le mouvement élégant de la jambe gauche met en avant le genou, lui aussi éclairé par la lumière. Si, esthétiquement, ce beau jaune illumine et réchauffe les teintes froides des vêtements, il nous rappelle qu’il s’agit ici d’un mariage juif.
Symétriquement au groupe formé par les cinq femmes qui accompagnent Marie, cinq hommes accompagnent Joseph et apportent de la vivacité à cette scène. En les observant attentivement, on remarque que tous portent une baguette. Pour souligner que Joseph a été choisi par Dieu, La Légende dorée raconte que Marie n’a pas voulu retourner chez elle, une fois élevée dans le temple, afin de se marier, car elle avait été consacrée à Dieu.
Le pontife consulte alors les anciens et il est décidé que tous les prétendants doivent apporter à l’autel une baguette et que seul sera choisi celui dont la baguette fleurira. "Joseph apporta sa baguette qui fleurit aussitôt". L’allusion aux baguettes fait référence à l’époque de Moïse dans la Bible. Ainsi, sur la peinture de Raphaël, la baguette que porte Joseph se termine par une fleur. Toutes celles des autres prétendants restent stériles.
Certains la tiennent droite alors que l’un d’entre eux, déçu, la courbe entre ses mains, et qu’un autre, de colère, la brise sur son genou.
Rien n’est statique dans cette scène. L’impression de vie qui s’en dégage tient à la construction en demi-cercle, aux mouvements des personnages et aussi aux couleurs aux teintes nuancées qui se répondent sur le tableau . Par exemple, le rouge, qui circule et dirige notre regard vers le fond du tableau. La palette est resserrée. L’ensemble baigne dans une tonalité chaude, fauve et or.
Pour bien comprendre la signification de cette œuvre, qui ne raconte pas seulement une scène anecdotique de mariage, il faut s’attarder sur le mariage dans la tradition juive. Celui-ci comporte deux étapes : l’accord sur le mariage et le mariage proprement dit.
Chez Luc (1, 26-27), Marie est accordée en mariage à un homme nommé Joseph, de la famille de David. Marie est alors liée , "réservée" à Joseph. Ils sont engagés. Dissoudre cette première étape requiert un acte de divorce comme pour un mariage déjà célébré. Cependant les jeunes gens ne cohabitent pas. L’Annonciation à Marie et le premier songe de Joseph ont lieu pendant cette première étape. Mais l’Incarnation a bouleversé le déroulement normal du mariage juif. Selon Matthieu (1,18), "avant qu’ils eussent mené vie commune, elle (Marie) se trouva enceinte par le fait de l’Esprit Saint". Autrement dit, avant la seconde étape du mariage, Marie est enceinte. Dans la seconde étape, il s’agit, avec des noces solennelles publiques et festives, de commencer la vie commune.
L’Evangile nous montre que Joseph, apprenant que Marie était enceinte, a hésité à célébrer les noces solennelles. L’Ange du Seigneur lui dit alors : "Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ta femme, car ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint ; elle enfantera un fils et tu l’appelleras du nom de Jésus ; car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés" (Mt 1, 20-21). Joseph est donc appelé à célébrer la seconde étape du mariage. Le texte grec utilise le verbe "paralambanô" qui signifie "prendre avec soi, joindre à soi ou accepter quelqu’un". Il est sans ambiguïté. Le mot "gunè" quant à lui désigne toute femme, vierge, épouse ou veuve.
L’Evangile dit aussi que Joseph reçoit la vocation de donner à Jésus son nom, un acte très riche de signification qui reflète toute la grandeur de la paternité tout à fait réelle de Joseph. Les Évangiles synoptiques insistent sur ce point car, pour eux, Jésus est "le Messie, fils de David".
"Joseph accueille Marie sans condition préalable. Dans le doute sur la meilleure façon de procéder, Dieu l’aide à choisir en éclairant son jugement. La noblesse de son cœur lui fait subordonner à la charité ce qu’il a appris de la loi" (Pape François, Patris Corde).
III. Saint Joseph, un père dans la tendresse
La Promenade de Saint Joseph et de l’Enfant Jésus, de Zurbaran.
Peint aux environs de 1636, conservé dans La Chapelle Saint-Louis de l’église Saint-Médard à Paris.
Ce grand tableau a été commandé pour orner le maître-autel du couvent San José de la Merci de Séville. L’ordre des Mercédaires, fondé en Espagne au XIIIème siècle, était à l’origine un ordre militaire. Son but était de racheter les chrétiens captifs des pirates maures et réduits en esclavage. Par la suite, il devient un ordre missionnaire et caritatif.
À la suite de Saint Ignace de Loyola, de Saint Jean de La Croix et de Sainte Thérèse d’Avila, l’Espagne et l’Europe entière connaissent une nouvelle dévotion pour Saint Joseph et les artistes multiplient ses représentations (cf. Saint Joseph et l’Enfant Jésus, du Greco).
Le tableau arrive en France aux environs de 1837, acheté pour enrichir les collections du roi Louis-Philippe.
Francisco de Zurbarán (1598-1664) est un peintre du Siècle d’or espagnol, contemporain et ami de Diego Velásquez. Il fait son apprentissage à Séville et se fait connaître très tôt : il a à peine vingt-deux ans lorsque, par contrat, une église de sa ville natale lui commande un retable et, cinq ans plus tard, le Conseil Municipal de Séville l’invite à s’installer là-bas avec sa famille. Occasion formidable pour lui car Séville compte alors plus de cinquante couvents et congrégations religieuses qui sont de grands mécènes, très exigeants quant à la composition et à la qualité des œuvres. Religieux et religieuses étaient sensibles à la dimension esthétique des représentations et pensaient que la beauté était stimulante pour l’élévation de l’âme. En réaction à la montée du protestantisme, une réforme catholique indispensable est lancée : le concile de Trente (1545-1563) marque un tournant dans l’histoire du catholicisme par les réformes qu’il adopte en matière de dogme et de discipline. Il consacre l’importance des œuvres d’art dans l’évangélisation des populations et met les arts au service de la foi. Dans toute l’Europe, les ordres religieux propagent la Contre-Réforme dont Zurbarán devient un artiste emblématique. Par ailleurs, située sur les rives du Guadalquivir, la ville de Séville est alors un des grands ports européens. La cité vit du commerce avec les Amériques dont bénéficiera Zurbarán.
L’église Saint-Médard conserve donc en ses murs le tableau d’un artiste majeur.
La Promenade de Saint Joseph et de l’Enfant Jésus, tel est le nom de ce tableau. Mais de quelle "promenade" s’agit-il ? Peut-être est-ce un de ces voyages que la Sainte Famille avait coutume d’accomplir à Jérusalem pour la Pâque. Les vêtements qui ne sont pas ceux du quotidien, les manteaux notamment , et le bâton que porte chacun des personnages peuvent étayer cette hypothèse. Dans les Évangiles, le chemin qui mène à Jérusalem, celui de la montée au Temple où Jésus s’est rendu avec ses parents, constitue la dernière fois où nous entendons parler de Joseph. Toutefois, Marie n’est pas là.
Au premier plan apparaissent en pied Jésus et Saint Joseph, reconnaissables immédiatement à leurs attributs, même s’ils sont dépourvus d’auréole.
Placé à droite de la composition, Joseph s’impose par sa stature et sa monumentalité. Il semble être au centre du tableau alors que, si on trace une ligne verticale qui partage l’œuvre en deux et passe par le front et le tomber du manteau, Joseph est bien dans la partie droite. Composition inhabituelle. Joseph paraît être le personnage principal de l’œuvre. Il est le père nourricier de Jésus. Comme tous les pères, il l’a aidé à faire ses premiers pas. Le sujet de ce tableau y fait écho.
Joseph est représenté debout, le buste légèrement penché vers l’avant, le regard baissé vers le sol en signe de son humilité. Il est vêtu d’une longue robe rouge cramoisi, éclairée par le somptueux manteau ocre jaune qui l’enveloppe et dont les plis du drapé sont comme stylisés et donnent du relief. Son habit et le bâton de marche qu’il tient dans la main gauche le font ressembler à un pèlerin. Au sommet de ce bâton, l’éclosion de quelques feuilles rappelle sa désignation comme époux de Marie choisi par Dieu, selon les apocryphes.
Sous la robe, on entrevoit le pied droit en avant.
Les artistes représentent souvent Joseph comme un homme âgé, peut-être pour confirmer son statut d’homme mûr et sage. Mais rien dans les Écritures ne le confirme. Ici, Zurbarán a choisi de peindre un homme dans la force de l’âge. Les longs cheveux et la barbe fournie annoncent virilité et maturité.
Joseph donne la main à l’Enfant Jésus. Il le domine de sa haute taille, solidement ancré dans le sol, donnant une impression de stabilité. Cet homme est une force sur laquelle on peut compter.
À gauche, le petit Jésus prend la main de Joseph. Il est excentré mais le fond sombre devant lequel il se tient et la palette claire utilisée par le peintre le font ressortir avec force.
L’enfant est vêtu d’une longue robe dont la splendide couleur rose révèle la maîtrise du peintre qui l’utilise à de nombreuses reprises (cf. L’Archange Gabriel, conservé au Musée Fabre à Montpellier). Le rose n’est pas une couleur à part entière ; il résulte du mélange du rouge et du blanc qui permet un vaste nuancier. Cette couleur, étrangement réservée aux femmes depuis le XIXème siècle, était aussi celle des vêtements des hommes jusqu’au XVIIIème. Il suffit de voir le Portrait d’Henri IV peint par Jacob Bunel, celui d’Un Homme à la cape en soie noire de Lorenzo Lotto, ou encore le Portrait d’un Homme en buste à la toque de Giovanni Francesco Luteri. L’audace de Zurbarán est de ne pas refuser le contraste des couleurs : le rose de la robe de Jésus et le rouge sang du manteau qui évoque la Passion, de même que le bâton qu’il tient, en forme de croix, qu’il semble montrer à Joseph. Jésus qui tend sa Croix, symbole de son Eglise. Rapprochement osé de ces trois nuances de rouge, si l’on se rappelle la robe de Joseph. Zurbarán sait rendre le réel des tissus grâce au travail sur les drapés et les nuances d’éclairage résultant du tomber des tissus.
L’effet de lumière sur les pieds de l’enfant nous donne l’impression qu’il touche à peine le sol. Le teint pastel rehaussé d’incarnat de ses joues souligne son caractère enfantin. Son regard est tourné vers le haut, vers Joseph bien sûr, son père terrestre, mais aussi vers son Père du Ciel. On y lit de la confiance et de la douceur.
Dans les mains qui lient l’homme et l’enfant se dessine l’Alliance entre Dieu et son peuple. La force ne vient plus de l’homme mûr à la haute stature, mais de l’enfant qui contemple le Ciel. Lequel guide l’autre ? Une certitude : le lien qui unit Saint Joseph à Jésus nous lie également à Dieu.
Son séjour à Madrid en 1634 a été déterminant dans l’évolution de la peinture de Zurbarán. Il va y voir les œuvres des grands peintres italiens travaillant à la cour d’Espagne, comme Guido Reni et Angelo Nardi. Il renonce alors au ténébrisme de ses débuts et à l’influence trop baroque du Caravage. Les tons vont devenir moins contrastés, les ciels plus clairs. À l’arrière-plan de cette Promenade de Saint Joseph et de l’Enfant Jésus, on voit se dessiner un paysage. On distingue les nuances des verts des feuillages qui se découpent sur un ciel clair.
Cette approche humaine et familière des figures de Saint Joseph et de l’Enfant Jésus, cette douceur, nous font découvrir dans ce tableau une profonde intériorité, sans spectacle, et une grande sérénité.
IV. Saint Joseph, père travailleur
Vrai Dieu et vrai homme, Jésus devait avoir une vraie famille , car l’Incarnation respecte pleinement les lois de la croissance humaine. Joseph, choisi par le Père éternel pour être le père nourricier et le gardien de ses plus grands trésors, devait donc avoir un métier pour subvenir aux besoins de sa famille. De même qu’on peut imaginer qu’il ait formé Jésus à l’apprentissage de son métier. Dans les Évangiles, Jésus lui-même est appelé tantôt "le charpentier" (Marc 6,3), tantôt "le fils du charpentier" (Mt 13,55).
Les Évangiles utilisent le mot grec "tektôn" que la traduction par "charpentier" ne rend que partiellement. En grec, le mot a une signification plus large : il désigne un artisan travaillant le bois en général, mais aussi les métaux ou la pierre, c’est-à-dire capable de participer comme maçon, voire comme architecte, à la construction d’édifices. Le terme comporte une connotation d’habileté et de sagesse. Le mot de "charpentier" pourrait alors être synonyme d’ "homme sage" dans le milieu où évolue Jésus.
Un adage connu au Ier siècle disait : "Qui n’apprend pas un métier à son fils, c’est comme s’il lui enseignait le brigandage". La responsabilité du père de famille était donc grande. Le travail manuel était en honneur dans le monde juif. On recommandait même à ceux qui étudiaient la Torah d’exercer conjointement un métier, car "en jouissant du travail de tes mains, tu seras heureux et cela te réussira".
Saint Joseph charpentier, de Georges de La Tour (aux environs de 1642)
Musée du Louvre, Paris
Huile sur toile. H : 1m37 ; L : 1m02
Georges de La Tour est né à Vic-sur-Seille, en Lorraine, dans une famille de boulangers (1593-1652). Nous ne savons rien sur ses années d’apprentissage. L’influence du Caravage est perceptible dans son travail mais la façon dont le peintre a découvert les œuvres du maître baroque reste inconnue. Il acquiert une célébrité locale mais tombe dans l’oubli après sa mort et n’est redécouvert qu’au début du XXème siècle. Ses œuvres sont rares.
Commandé probablement pour le couvent des Carmes Déchaussés de Metz, ce tableau est peint sur une toile de lin fin, à tissage serré, dont le format est d’origine.
De dimensions importantes, il représente une scène nocturne. Saint Joseph, dépourvu d’auréole, est vêtu d’une chemise aux manches retroussées, d’un tablier qui laisse apparaître le bas de ses jambes, et chaussé de socques. Vu de trois-quarts, il est penché vers l’avant et perce avec une tarière une pièce de bois qu’il maintient de son pied gauche. À ses pieds, des outils de menuisier — maillet et ciseau à bois — jonchent le sol où est tombé un copeau de bois. Ces objets constituent à eux seuls une nature morte.
En face de lui est assis l’Enfant Jésus, vêtu d’une tunique serrée à la hauteur de la poitrine par une ceinture rouge. Son visage est vu de profil, laissant voir les boucles de cheveux dans le cou, et la bouche ouverte, comme si l’enfant allait parler. Un éclat de lumière permet d’apercevoir son genou gauche dénudé. Il tient de la main droite une chandelle qui éclaire la scène qui baigne dans des tons de bruns, presque monochrome.
La scène aux formes ramassées, vue en plan rapproché, fait pénétrer le spectateur dans l’intimité du lien qui relie les deux personnages. Ce qui fait qu’elle n’est pas une scène banale de la vie quotidienne, c’est cette chandelle justement autour de laquelle se joue la concentration dramatique de l’action.
La lumière traverse les doigts translucides de l’enfant et illumine à la fois son visage et celui de son père. La pauvre flamme d’une chandelle ne pourrait pas donner à cette scène une telle intensité. L’artiste a probablement utilisé d’autres sources de lumière en réalisant son tableau. Jésus est éclairé de face alors que Joseph l’est par en-dessous. La forte lumière dirigée sur Jésus vient du coin supérieur gauche tandis que la faible lumière répandue sur Joseph vient du coin inférieur droit. Georges de La Tour peignait sans doute ses modèles séparément, avec deux sources différentes. Sur le tableau, la source majeure de lumière n’est donc pas la chandelle mais le visage de l’enfant qui irradie la scène. Lumière divine, car c’est bien la lumière et elle seule qui donne à l’œuvre sa dimension sacrée.
L’unique et vraie source de lumière attire donc le regard sur le visage de Jésus. L’éclat surnaturel qui irradie de ce visage met en évidence sa nature divine et son rôle de guide. Par ailleurs, la manière dont la lumière de la flamme traverse la main gauche de l’enfant, en faisant rougeoyer la chair translucide de ses doigts, rappelle qu’il n’est pas moins homme.
La même lumière éclaire le front de Joseph. Le visage est traité avec un grand réalisme : les rides du front, le grain de sa peau, les veines saillantes sont pétris d’une grande humanité. La barbe mousseuse peinte avec soin mange la bouche qui est, de ce fait, invisible et muette. Le visage de Joseph contraste avec le profil pur et presque lisse de Jésus.
Le rayon de lumière qui relie les deux personnages dans un cercle intime et la touche de lumière dans les yeux de Joseph évoquent une extrême concentration sur le travail accompli en même temps que de la bienveillance envers Jésus.
Ensuite seulement notre regard longe les bras de Joseph, également éclairés, jusqu’aux outils et pièces de bois dont la disposition au sol évoque une croix et préfigure le sacrifice du Christ. On peut alors lire aussi dans les yeux de Joseph de la gravité : il sait ce qui attend Jésus.
Il y a chez Georges de La Tour une volonté de simplicité et de dépouillement où s’exprime une spiritualité saisissante. Dans le silence, deux mondes face à face : à celui du vieillard apparemment fermé sur ses pensées répond celui de l’enfant resplendissant. Tandis que le visage de Joseph s’apprête à s’effacer dans l’ombre, celui de Jésus monte vers la lumière. Pourtant, par un simple geste, le vieil homme transmet à l’enfant tout son savoir.
Une copie de ce tableau se trouve au Musée des Beaux-Arts de Besançon. De bonne qualité et contemporaine de l’œuvre originale, elle a été probablement exécutée dans l’atelier même de Georges de La Tour.
La réflexion sur le travail manuel de Joseph est un hommage à tous les travailleurs dont l’habileté et les efforts façonnent notre quotidien. Jésus en a été touché au point d’en faire la matière de plusieurs de ses paraboles.
Lorsqu’il a commencé la Prédication du Royaume de Dieu, sillonnant la Galilée et les rives du lac de Tibériade, les gens s’étonnaient : "D’où lui vient cette sagesse ? N’est-il pas le fils du charpentier ?" (Mt 13, 55) Être fils de charpentier aurait-il été, pour eux, contradictoire avec la sagesse ? Or artisans et ouvriers le savent bien : l’exercice d’un métier demande compétence, intelligence, discernement, engagement. Ainsi la sagesse de Jésus venait-elle aussi de l’apprentissage du métier de charpentier auprès de son père terrestre.
Le travail fait partie de la vocation humaine et n’est pas une punition (les chômeurs aujourd’hui ne ressentent pas seulement la perte d’un salaire mais d’une partie du sens de leur vie). Il représente des valeurs : la réalisation de soi, l’utilité, la beauté de l’ouvrage accompli. Il donne à l’homme la dignité.
Dans la première Encyclique sociale, Rerum novarum, en 1889, le pape Léon XIII a démontré comment Saint Joseph était le modèle des pères de famille et des travailleurs, et lui a décerné officiellement le titre de "saint patron des pères de famille et des travailleurs".
V. Saint Joseph, père dans l’ombre
Saint Joseph père nourrissier du Christ, de Benjamin-Constant (environ 1900)
Eglise Saint-Martin de Villers-sur-Mer, Calvados
Huile sur toile. H : 1,30m ; L : 0,95m
Accroché au mur ouest du transept sud de l’église, ce tableau côtoie la grande verrière dédiée à Saint Joseph, achevée en 1878.
L’artiste, François-Jean-Baptiste-Benjamin Constant (1845-1902), adopte le nom de Benjamin-Constant. Élève d’Alexandre Cabanel, il connaît la notoriété comme peintre orientaliste, portraitiste, et se tourne aussi vers la peinture décorative (il participera aux décors de la salle des Illustres du Capitole de Toulouse, des plafonds de l’Hôtel de Ville de Paris et des peintures murales de la salle du Conseil Académique de La Sorbonne). Ses scènes religieuses sont plutôt rares. La toile de l’église de Villers-sur-Mer est donc exceptionnelle par son sujet et par ses coloris.
Qu’est-ce que l’orientalisme ? À la suite des campagnes napoléoniennes en Egypte et des guerres d’indépendance de la Grèce, l’attrait pour les pays du pourtour méditerranéen (la notion d’Orient est alors assez large) gagne les peintres à la recherche d’une nouvelle inspiration. Séduits par une culture qui leur est étrangère et leur semble mystérieuse, certains se contentent d’imaginer l’Orient à partir de photographies et de récits ; d’autres font des séjours en Afrique du Nord, en Egypte, en Turquie, en Grèce. C’est le cas d’Eugène Delacroix, de Jean-Léon Gérôme, de Théodore Chassériau ou de Mariano Fortuny que Benjamin-Constant rencontre au Maroc.
La peinture orientaliste se caractérise par la représentation d’un ailleurs exotique : on montre la particularité des paysages (les déserts, par exemple) ; habits, vie quotidienne et habitat sont représentés tels qu’ils sont dans la réalité. De plus, les peintres sont séduits par la lumière, les couleurs chaudes et chatoyantes.
En effet, Benjamin-Constant va faire à Tanger, au Maroc, deux séjours dont il rapportera des carnets de croquis et des objets. Son atelier parisien est un bazar oriental jonché de tapis, de caftans, d’armes et de turbans. Et c’est dans cet atelier qu’il réinvente l’Orient.
Il nous propose ici une vision orientaliste d’un épisode biblique imaginé.
Dans cette peinture, Saint Joseph est représenté en marge de l’iconographie habituelle, dans une atmosphère intimiste et contemplative. Il figure assis sur une terrasse en compagnie de Jésus. Le motif des figures assises sur une terrasse reprend une composition que Benjamin-Constant avait déjà utilisée pour le tableau Le Soir sur les terrasses, actuellement conservé au Musée de Montréal. Joseph et Jésus sont côte à côte, vus de trois quarts, tous deux auréolés d’un léger nimbe lumineux, vêtus de caftans à rayures portés sans ceinture, dans des tons beiges plus ou moins clairs.
Ce qui les distingue ? L’âge et la position des mains : Joseph est figuré comme un vieillard dont les traits creusés accusent les épreuves ; ses mains sont jointes sur ses genoux. Jésus est ici un adolescent aux longs cheveux roux ; il a posé ses mains sur le mur de la terrasse, de part et d’autre de ses cuisses. Au pied du mur, une scie rappelle le métier de charpentier de Joseph, et, symbole de son mariage virginal, un vase avec une tige de fleur de lys, dont quelques pétales sont tombés au sol.
Les deux personnages sont immobiles. La scène, baignée dans une douceur pastel à dominante de bleu et de rose, rend compte d’une ambiance apaisée, comme si le temps s’était arrêté. C’est le coucher du jour, le moment où le travail a cessé et où l’on va chercher un peu de fraîcheur sur les terrasses des maisons.
L’orientalisme n’est pas seulement une affaire de couleurs vives. En Afrique du Nord, les peintres découvrent aussi la blancheur géométrique des maisons exacerbée par un soleil de plomb dont la lumière éblouissante écrase les volumes (cf. Le Port d’Alger, de Jules-Alexis Meunier). Il s’agit alors de traduire cette lumière aux différentes heures de la journée, dans un savant camaïeu de blancs. De même, aux empâtements dorés à la Rembrandt, Benjamin-Constant préfère ici des tons plus subtils qui correspondent à la discrétion de Joseph et de Jésus qui n’a pas encore révélé sa vraie nature.
La construction verticale du tableau donne à la maison au premier plan une ampleur particulière. Elle impose sa masse blanche et confère à Jésus et son père nourrissier une hauteur, un statut, qui n’est plus celui de simple mortel. Au-delà d’un orientalisme dépourvu de réalisme géographique — les montagnes à l’arrière-plan rappelant le massif de l’Atlas marocain plus que les collines autour de Nazareth — , Benjamin-Constant offre une représentation empreinte de recueillement. Il renouvelle l’iconographie de Saint Joseph qui ne porte pas Jésus dans ses bras, qui ne le tient pas par la main, mais est assis à ses côtés. Ils regardent tous deux vers un horizon commun, comme ils ont partagé pendant des années la même vie.
Saint Joseph est vénéré depuis bien longtemps en Orient, comme en témoigne la prière de Saint Ephrem (IVème siècle) : "Bienheureux es-tu, ô juste Joseph, parce que, à tes côtés, grandit celui qui s’est fait petit enfant en se faisant à ta mesure. Le Verbe habita sous ton toit, sans pour autant quitter le sein du Père. Ô noms bienheureux qu’il a pris dans son amour : Fils de David, Fils de Joseph, celui qui était Fils du Père."
Son culte se diffuse en Occident au XIème siècle mais c’est à partir du XIIIème siècle que Saint Joseph sort de l’ombre, en lien avec une plus forte humanisation du Christ et des représentations de plus en plus nombreuses de la Nativité dans lesquelles son personnage s’autonomise (il devient reconnaissable à des attributs spécifiques : vieillard, parfois nimbé, il tient souvent le bâton fleuri et la gourde). Il faut attendre le XVème siècle pour que le pape Sixte IV introduise officiellement son culte. Une authentique dévotion populaire naît alors, qui connaîtra son apogée au XIXème siècle. Le pape Pie IX déclare Saint Joseph patron de l’Eglise universelle et le pape Jean XXIII ajoute son nom au canon de la messe. Cet homme humble, modeste et obéissant, père nourrissier, modèle de dévotion au Christ et à la Vierge, séduit les congrégations religieuses comme les Franciscains et les Carmélites.
Pourtant, les Évangiles sont particulièrement discrets à propos de Joseph : seuls Matthieu et Luc le citent directement. L’évangéliste Marc est totalement muet à son sujet, et Jean ne le cite que deux fois, indirectement : "Jésus, fils de Joseph" (Jean 1,45 ; 6,42). Son nom est toujours indissociablement uni à ceux de Marie et de Jésus dans une commune mission : rendre possible, par leurs "fiat" respectifs, le salut du genre humain.
Les Évangiles ne nous précisent ni le lieu, ni la date de sa naissance ; il n’a laissé aucun écrit et aucune de ses paroles n’est rapportée. Nous ne savons rien non plus des derniers instants de Joseph qui disparaît discrètement de la scène évangélique. Il convenait en effet qu’il s’effaçât pour que tous les regards se concentrent sur Jésus, puisque c’est en Lui que nous pouvons voir le Père (Jean 14,9). À l’image du Père des cieux qui nous renvoie vers son Fils, Joseph garde le silence et s’efface en présence du Verbe incarné venu nous révéler "son Père et notre Père, son Dieu et notre Dieu" (Jean 20,17). C’est donc à l’écoute de son silence que nous sommes invités.
Joseph s’est soumis entièrement à la volonté de Dieu (cf. les trois songes) et est ainsi devenu le fidèle collaborateur de son dessein de salut, au point qu’on a pu le nommer "l’ombre du Père". Qui d’autre que Saint Joseph peut s’arroger la gloire d’avoir sauvé des mains d’Hérode le Sauveur des hommes ? D’avoir initié aux Écritures celui qui est le Verbe de Dieu fait chair ? D’avoir nourri du pain de la terre celui qui est le Pain du Ciel ?
La grande peinture de Benjamin-Constant qui est dans l’église Saint-Martin de Villers-sur-Mer nous invite, dans sa sobriété, son silence et sa lumière, à nous laisser guider par Dieu, comme Joseph a guidé Jésus dans son enfance.