La Toussaint 2022

Cette fête célébrée le 1er novembre honore tous les saints, connus ou inconnus, canonisés ou non. Méditons un instant en observant deux œuvres qui l’évoquent. Entrons dans la foule des saints qui glorifient Dieu et lisons l’Evangile des Béatitudes comme une symphonie céleste.

La Toussaint est une fête catholique, célébrée le 1er novembre, au cours de laquelle l’Eglise catholique honore tous les saints, connus et inconnus. Elle précède d’un jour la commémoration de tous les fidèles défunts, dont la solennité a été officiellement fixée au 2 novembre. Les Églises orthodoxes ainsi que les Églises catholiques orientales de rite byzantin continuent à célébrer le Dimanche de Tous les Saints le dimanche qui suit la Pentecôte.
Des fêtes honorant tous les martyrs existaient dès le IVème siècle dans les Églises orientales. À Rome, au Vème siècle, une fête en l’honneur des saints et martyrs était déjà célébrée le dimanche suivant la Pentecôte. C’est le pape Grégoire III qui, au VIIIème siècle, officialise la date du 1er novembre.
Après la transformation du Panthéon de Rome en sanctuaire, le pape Boniface IV l’a consacré le 13 mai 1610 sous le nom de l’église Sainte-Marie-et-des-Martyrs. Il voulait faire mémoire de tous les martyrs chrétiens dont les corps étaient honorés dans ce sanctuaire. La fête de la Toussaint a été alors célébrée le 13 mai, date anniversaire de la dédicace de cette église consacrée aux martyrs.
La célébration de la Toussaint a été localement suivie d’un office des morts dès le IXème siècle. En 998, les moines de Cluny, sous l’impulsion de leur abbé Odilon, instituent une fête des trépassés le 2 novembre, qui est entrée dans la liturgie romaine comme commémoration de tous les fidèles défunts au XIIIème siècle. En 1914, Le pape Pie X fait de la Toussaint une fête d’obligation.
Cette fête ne se fonde pas sur des textes bibliques, ni sur la liturgie de Jérusalem, même si les artistes qui l’ont représentée se sont inspirés de l’Apocalypse de Jean et des épîtres de l’apôtre Paul.

I.

Dans les Églises orientales et catholiques de rite byzantin, la célébration du Dimanche de Tous les Saints (Κυριακή Αγίων Πάντων = Kiriaki Agiôn Pantôn) commémore aussi tous les saints, de tous les continents, martyrs ou non, connus ou inconnus.
Cette célébration a acquis une grande importance au IXème siècle, lors du règne de l’empereur byzantin Léon VI le Sage. Son épouse, l’impératrice Théophanô, particulièrement pieuse, étant morte, l’empereur a voulu faire bâtir en son honneur un sanctuaire qui lui serait dédié. Ayant essuyé un refus de la part des autorités religieuses, il a décidé de consacrer cette église à tous les saints, de telle façon que son épouse, considérée comme sainte par sa conduite, fût honorée chaque fois que la fête de "tous les saints" serait célébrée.
Le Dimanche de Tous les Saints est la dernière célébration du temps pascal. Le tropaire ( hymne brève ne comportant qu’une strophe) de tous les saints invite les fidèles :
" Chantons l’innombrable multitude de tous les saints :
les apôtres, les prophètes, les pontifes et les martyrs ;
le chœur des vénérables, les justes de tous les temps, l’assemblée des saintes femmes,
les anonymes avec ceux que nous connaissons.
Et, célébrant leur mémoire, disons-leur : "Gloire à celui qui vous a couronnés !
Voire à celui qui fit des merveilles pour vous !
Gloire à celui qui sur l’Eglise vous a fait luire d’un tel éclat !"

Cette mémoire collective des saints, connus et inconnus, fait suite au dimanche de la Pentecôte, car la sainteté est le fruit de l’Esprit Saint.

Icône byzantine. Monastère des Météores (Grèce). XVIIème siècle

Le thème choisi par l’artiste est écrit en haut de l’icône ( Οι Άγιοι Πάντες = Tous les Saints), de même que quelques noms sont écrits à côté ou au-dessus des personnages représentés.
La scène est peinte sur un fond d’or traditionnel en iconographie, l’or représentant le monde divin.
Au centre de l’icône, dans une composition en cercle évoquant un ostensoir, siège en trône notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, entouré de la "nuée des témoins" décrite par saint Paul dans sa lettre aux Hébreux (1, 33 ; 12, 2). La foule des saints évoque "une grande multitude, que personne ne peut dénombrer, de toute nation, de toute tribu, de tout peuple et de toute langue" (Apocalypse 7, 9).

Le Christ en gloire est assis sur une sorte d’arc-en-ciel. Sa main droite est ouverte en direction des personnages inscrits dans un second cercle. Il tient dans sa main gauche un livre ouvert où est écrite sa Parole. Il porte un habit de lumière : son vêtement ocre jaune le fait presque se confondre avec l’or de l’icône. Il a sur la tête une couronne, symbole de sa Majesté et de sa gloire divine.
Les rangées de saints inscrits dans le second cercle, manifestant la communion avec Dieu, incluent la Très Sainte Mère de Dieu, à sa droite, et saint Jean le Baptiste, à sa gauche, qui intercèdent tous deux pour tout le genre humain. Ils sont entourés des douze apôtres dont l’assemblée renvoie à l’événement de la Pentecôte au cours duquel les douze disciples réunis dans la chambre haute ont reçu l’Esprit Saint.

Un peu plus bas, au centre, figure le trône de l’Hétimasie (en grec, le mot Ετοιμασία signifie " préparation "). Le trône vide, sur lequel est étalé le manteau bleu du Christ, symbolise l’attente du second avènement du Christ. Dessus est posé le Livre de Vie (cf. Apocalypse). De part et d’autre, s’inclinant en révérence, on reconnaît Adam et Ève. Adam porte une longue barbe blanche tandis que Ève est vêtue d’un himation rouge écarlate. Ils manifestent par leur présence le salut accompli par le Christ pour tout le genre humain.
Autour du Christ, on voit le cortège des justes, répartis en catégories distinctes : les chœurs des anges et des archanges, les patriarches, les prophètes (reconnaissables à leur petite toque), les pontifes, les grands martyrs, les ascètes au corps décharné...
Le paradis est représenté sous le cortège des justes comme un jardin lumineux rempli d’arbres et de fleurs, au milieu duquel se tient Dismas, le bon larron crucifié avec Jésus et à qui le Seigneur a dit : "En vérité, je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis" (Luc 23, 39-43). Le bon larron a confessé la divinité du Christ juste avant sa mort et c’est à ce titre qu’il a été le premier à franchir les portes du paradis.

À sa droite est assis le patriarche Abraham, tenant contre lui l’âme d’un juste figurée sous la forme d’un petit enfant habillé de blanc. Le sein d’Abraham symbolise le lieu où les âmes des justes reposent jusqu’au jour du Jugement. Son nom signifie en hébreu "père de multiples nations".

À sa gauche, vêtu du même himation bleu et d’une robe jaune, le patriarche Jacob tient dans un tissu les douze tribus d’Israël.

Dans les coins supérieurs de l’icône se trouvent deux personnages, vêtus à l’identique, identifiables par leur nom et les accessoires qui les accompagnent. À notre gauche, le prophète Daniel, qui incarne au plus haut degré l’homme pieux par la prière ; il est le juste et l’innocent, l’élu de Dieu. Et à notre droite, le roi Salomon. Deux lectures du roi Salomon sont faites de la Sagesse de Salomon lors des grandes vêpres du Dimanche de Tous les Saints, dont voici un extrait : "Les justes vivront à jamais, leur récompense est aux mains du Seigneur ; c’est le Très-Haut qui en prend soin" (La Sagesse de Salomon 5, 16).

II.

Dès les XIIème et XIIIème siècle, les écoles de peinture toscane avaient adopté la technique byzantine de l’icône. En même temps, l’Italie est pénétrée par l’influence de l’iconographie orthodoxe. Ainsi, des foyers comme Sienne, Florence ou Padoue voient naître Duccio, Giusto da Menabuoi, Giotto ou Cimabue dont les célèbres madones dérivent du hiératisme orthodoxe, tout en étant humanisées au moyen d’une peinture plus tendre. On peut véritablement parler d’étape entre la peinture médiévale du type de l’enluminure et la peinture de chevalet, grâce à l’icône.
L’icône est une peinture sacrée, destinée à être "écrite" et non pas peinte. Le peintre d’icône ne peint pas, il prie. En Occident, l’image a une fonction ornementale, didactique et mémorielle. C’est pourquoi les Italiens du Quattrocento vont interpréter le type de l’icône en s’inspirant de ses codes de représentation tout en y incorporant leurs propres recherches plastiques et formelles. Les premières œuvres de Fra Angelico révèlent cette transition.

Retable de San Domenico, Fra Angelico (1422-1423)
Tempera sur bois. 212x237cm. Couvent San Domenico, Fiesole

Le Retable de San Domenico est aussi appelé Pala di Fiesole. Le mot italien "pala" désigne des tableaux d’autel qui peuvent comporter plusieurs éléments (polyptyques) ou un seul. Celui-ci était destiné à l’origine au maître-autel de l’église du couvent. Il est toujours conservé dans le lieu où il a été peint, à Fiesole, à proximité de Florence, mais il se trouve aujourd’hui dans une chapelle latérale. Il présente deux particularités : celle d’avoir été remanié par Lorenzo di Credi en 1501 lors de la "modernisation" de l’église, et celle d’avoir été démembré entre 1792 et 1827 par les moines de San Domenico eux-mêmes. Les saints qui ornaient les pilastres latéraux sont désormais conservés au Musée Condé de Chantilly pour deux d’entre eux (saint Marc et saint Matthieu) et dans une collection particulière pour les deux autres. La prédelle (partie inférieure du retable) se trouve à la National Gallery de Londres.
Le couvent de Fiesole a été construit entre 1406 et 1435, et Guido di Pietro y entre en 1417 sous le nom de Fra Giovanni (il ne sera appelé Fra Angelico qu’après sa mort). Ce retable est l’une des œuvres les plus anciennes que nous possédions de cet artiste.
Certains détails du retable rappellent la formation initiale de Fra Angelico : de miniaturiste dans le filet des contours brun-rouge a tempera des personnages, de pratiquant de la peinture byzantine dans la présentation de la taille des anges par rapport à la Vierge et aux saints, et au fond doré originel. Et sa connaissance de la peinture florentine lui fait maîtriser la perspective géométrique, remplacer le coussin traditionnel de la Vierge par le dessin fuyant d’un trône à accoudoirs, et présenter les visages des anges de profil, de face, mais aussi de trois-quarts. De plus, la Vierge reste une Vierge en majesté de l’art byzantin (la Vierge Théotokos = Mère de Dieu) par la scénographie (le trône, les saints, les anges), mais son attitude la rapproche de la Vierge de l’humilité qui dominera la peinture italienne quelques décennies plus tard ; et le hiératisme de son visage s’est adouci, la figure de la Vierge s’est humanisée. Le chromatisme des couleurs s’est éclairci.
Nous nous attacherons aujourd’hui à l’étude plus particulière de la prédelle du retable de San Domenico.

Prédelle de la Pala di Fiesole
Tempera sur bois. 32x244cm. National Gallery, Londres

La partie inférieure de la pala nous laisse entrevoir la béatitude céleste et nous donne à contempler le Christ vainqueur (panneau central) vers lequel se tourne une multitude de saints et d’anges.
L’ensemble du retable illustre parfaitement la prière à tous les saints laissée par saint Augustin, dont la règle tient une grande place dans la vie dominicaine : "Reine de tous les saints, glorieux apôtres et évangélistes, martyrs invincibles, généreux confesseurs, savants docteurs, illustres anachorètes, dévoués moines et prêtres, vierges pures et pieuses femmes, je me réjouis de la gloire ineffable à laquelle vous êtes élevés dans le royaume de Jésus-Christ, notre divin Maître."
Le peintre évoque en effet la cité du Ciel en un large ruban de cinq panneaux juxtaposés où se pressent, en rangs serrés, trois cents personnages

Au centre, en majesté, le Christ Ressuscité est le seul à porter un vêtement blanc et une auréole crucifère. Il porte les stigmates de la Passion et tient dans la main gauche une grande bannière blanche à croix rouge. Des anges musiciens chantent sa gloire et l’accompagnent de leurs instruments, longues trompettes, harpes et tambourins.
Sur les panneaux latéraux figurent les saints et les saintes de l’ordre dominicain pour lequel le retable a été réalisé et auquel appartenait Fra Angelico.

Encadrant les anges, le peintre mêle aux saints les précurseurs du Christ. Tranchant avec le noir et le blanc du vêtement dominicain, les saints et les saintes portent des tenues aux couleurs lumineuses. Certains sont aisément identifiables. On reconnaîtra en particulier saint Pierre, à proximité immédiate de Marie, sur le panneau de gauche. À droite, saint Jean-Baptiste est reconnaissable à sa croix de roseau et à son vêtement de peau de bête, en haut du panneau de droite.
Il semble qu’il y ait une hiérarchie dans la présentation de tous ces personnages : au rang supérieur, des prophètes avec leurs attributs divers, ermite à l’épaule dénudée, bâtisseur d’église portant maquette en mains, roi musicien, etc. ; au deuxième rang sont présentés des saints connus (on reconnaît aisément saint Dominique), et des évêques ; au troisième rang, ce sont les femmes. Tous sont tournés vers le Christ.
L’or du fond est l’unique décor. Il est utilisé pour représenter la lumière divine, dont les rayons semblent émaner du Christ éclairant le monde. Matériau inaltérable, il est un hommage à la Création et illustre l’état de sainteté de ceux qui en sont nimbés. C’est un héritage de l’art des icônes byzantines orthodoxes.

La Pala di Fiesole est sans aucun doute une image de l’Eglise céleste triomphante formée par les anges et les saints dont l’âme a gagné le Ciel et qui, tous ensemble, louent Dieu dans une liturgie éternelle. Pour autant, la part de l’auto-représentation y est remarquablement importante. Sur le panneau principal ne figurent, en dehors de saint Pierre, le saint patron du peintre, que des saints dominicains : de gauche à droite, Thomas d’Aquin, Dominique et Pierre martyr. Et ces trois saints sont à nouveau figurés dans la prédelle, qui comprend aussi une assemblée dominicaine de trente-sept membres. Or, nous l’avons vu, l’Eglise triomphante est un corps hiérarchisé . Dans les images, le rang de ses membres est exprimé par leur proximité plus ou moins grande par rapport au Christ. Et le groupe des dominicains est organisé selon les mêmes principes de hiérarchisation. On voit d’abord les frères, puis, dans le panneau de gauche, quatre sœurs et un frère convers, et dans le panneau de droite quatre sœurs et deux frères tertiaires. Au sein du groupe des frères, les maîtres généraux, les papes, les évêques et cardinaux sont situés dans le rang supérieur. Les figures sont identifiées pour la plupart par des inscriptions.

La présence de Giovanni Dominici, qui tient une maquette de l’église du couvent florentin (c’est lui qui a institué le couvent San Domenico à Fiesole) dans le panneau de droite est particulièrement significative. Toutes les composantes de l’ordre sont ainsi représentées. Dans le contexte du Grand Schisme d’Occident et alors que l’ordre souffre de tensions et de déchirements entre "observants" (qui prônent une restauration de l’idéal monastique des origines et l’application stricte de la règle, inspirés par Catherine de Sienne) et "conventuels" (attachés à des coutumes récentes et critiqués pour leur manque de discipline et leur attachement aux richesses matérielles), le groupe est représenté sur le retable comme un ensemble parfaitement unifié, ordonné, hiérarchisé à l’image de l’Eglise triomphante selon les principes divins d’ordre et d’harmonie.

Revenons à la belle prière de saint Augustin : "Puissante armée des saints, troupe bienheureuse des apôtres et évangélistes, des martyrs, des confesseurs, des docteurs, des anachorètes et des moines, des prêtres, des saintes femmes et des vierges pures, priez sans cesse pour nous, misérables pécheurs." L’Evangile lu au cours de la messe de la Toussaint est le texte des Béatitudes (Mat 5, 1-12). Ce texte signifie que la sainteté concerne tous ceux et celles qui choisissent de mettre leurs pas dans ceux du Christ, par l’accueil de la Parole de Dieu, la fidélité et la confiance en Lui, la bonté, la justice, l’amour, le pardon et la paix. L’appel universel à la sainteté a été rappelé par Vatican II (Lumen gentium) et le pape François en a fait le thème de sa troisième lettre apostolique, "Gaudete et exsultate".
Quelle diversité dans la foule des saints représentés par Fra Angelico sur la prédelle du Retable de Fiesole ! Nous pourrions nous y trouver. Nous pouvons marcher vers Jésus ressuscité, Jésus qui est le chemin de la sainteté. Ainsi, nous sommes appelés à être tous réunis en une assemblée de saints, à nous unir au Christ avec l’aide de l’Esprit Saint. Telle est notre destinée bienheureuse que Fra Angelico nous fait contempler.

Le groupe Fra Angelico
Saint-Jean des Deux-Moulins

Paroisse Saint-Jean des Deux Moulins
185 rue du Château-des-Rentiers, 75013 Paris
01 45 70 94 75
paroissesj2m@gmail.com
https://sj2m.fr

Le groupe Fra Angelico