La Présentation de Marie au Temple (2023)
L’Eglise a voulu célébrer la Présentation de Marie au Temple pour manifester la sainteté de la Vierge Marie. Dès sa prime enfance, elle est l’Immaculée Conception. Elle a fait le don de sa vie à Dieu, comme elle le dira plus tard à l’ange Gabriel lors de l’Annonciation.
La Présentation de Marie au Temple
Avant d’être une fête chrétienne, la Présentation de Marie au Temple s´inscrit dans le rituel juif traditionnel. Nous retrouverons donc un rituel similaire dans la Présentation de Jésus au Temple.
La loi de Moïse imposait le rachat de tout premier né mâle par un sacrifice, une manière d’assurer la survie du peuple d’Israël par l’offrande de ces prémices.
Selon la Tradition, Anne et Joachim, époux exemplaires, sont mariés depuis vingt ans, mais ils n’ont toujours pas d’enfants et ils s’en désolent. Lorsqu’ils se rendent au Temple de Jérusalem, le grand prêtre n’a pour eux que des paroles de mépris et de reproche, l’infertilité du couple étant le signe qu’ils étaient sous la malédiction de la Loi, et, en présence du peuple, il repousse leur offrande. Joachim, tout couvert de honte, se retire dans le désert où il passe quarante jours à jeûner et à faire pénitence auprès de ses bergers. Un jour, un ange apparaît à Joachim pour promettre à sa femme et à lui la naissance d’un enfant. Joachim revient à Jérusalem et retrouve Anne à la Porte Dorée. C’est après cette rencontre que Marie sera conçue. Ses parents décident alors, lorsqu’elle a trois ans, de la présenter au Temple afin de rendre grâce à Dieu pour ce don divin.
Cette présentation s’inscrit dans la longue tradition héritée de l’Ancien Testament de consacrer certains jeunes enfants au service de Dieu en reconnaissance d’une naissance, telle Anne avec son fils Samuel, ou encore Samson, l’enfant de l’épouse stérile de Manoah.
La Présentation de Marie au Temple est un épisode qui ne se trouve pas dans les Évangiles canoniques. Nous ne savons que ce que la tradition nous a transmis. Le premier texte écrit qui fait référence à cet épisode est le Protévangile de Jacques (ch. 6-10), rédigé en grec au IIème siècle et présenté comme l’œuvre de l’apôtre Jacques le Mineur, fils d’Alphée. Le récit est repris au début du XIIIème siècle par Jacques de Voragine dans La Légende dorée.
Une fois dépouillé des détails légendaires, l’Eglise a inclus cet épisode dans la liturgie.
Dès 543, les Églises d’Orient ont fêté "l’entrée au temple de la Très Sainte-Mère de Dieu", à la basilique Sainte-Marie-la-Neuve, érigée à Jérusalem sur la colline de Sion, en face de l’esplanade du temple.
Dans l’Empire byzantin, on trouve la référence à la Présentation de la Vierge Marie au Temple à partir du VIIIème siècle. Elle connaît un développement considérable à partir du XIème siècle et devient extrêmement populaire pendant le Moyen Âge. En témoigne la mosaïque byzantine de Daphni, en Grèce, datée de la fin du XIème siècle.
La fête de la Présentation est reconnue, dans l’Eglise catholique, par le pape Grégoire XI en 1372. Elle ne sera cependant inscrite au calendrier liturgique d’Occident qu’en 1585 par le pape Sixte V. Aujourd’hui encore, cette fête est honorée par les chrétiens chaque 21 novembre.
Le Protévangile de Jacques raconte précisément cet événement : "L’enfant atteignit l’âge de trois ans et Joachim dit : "Appelez les vierges sans tache des Hébreux et qu’elles prennent des lampes et qu’elles les allument et que l’enfant ne se retourne pas en arrière et que son esprit ne s’éloigne pas de la maison de Dieu. Et le prince des prêtres reçut l’enfant et il l’embrassa et il dit : "Marie, le Seigneur a exalté ton nom dans toutes les générations, et, à la fin des jours, le Seigneur manifestera en toi le prix de la rédemption des fils d’Israël. Et il la plaça sur le troisième degré de l’autel. Et le Seigneur fit descendre sa grâce sur elle et elle tressaillit de joie et ses pieds se mirent à danser et toute la maison d’Israël l’aima."
Le sujet est souvent traité par les peintres.
Nous étudierons aujourd’hui deux œuvres peintes qui ont des points communs : une icône de l’école créto-vénitienne du XVème siècle et un triptyque de l’école siennoise du XIVème siècle.
I.
Icône d’école crétoise, XVème siècle
attribuée à l’iconographe Ange (Άγγελος)
Monastère Sainte Catherine du Sinaï
Cette icône prouve que la fête de la Présentation de Marie au Temple fait partie des douze grandes fêtes byzantines.
La composition de l’icône est sophistiquée. Au premier plan, une procession de gens se dirige vers le temple représenté ici par une coupole ("ciborium"), qui évoque l’architecture d’une église byzantine plutôt qu’un temple juif, et le rideau rouge en partie ouvert, qui symbolise la présence de Dieu. Le Temple de Jérusalem était situé sur une montagne et il fallait gravir quinze marches, en référence aux quinze psaumes graduels chantés immédiatement avant la lecture de l’Evangile. Les marches, ou degrés, sont un élément clé de la représentation — même si, ici, elles sont peu visibles — et symbolisent les vertus que Marie exerce de la manière la plus parfaite.
Dans cette composition, le personnage le plus important est sans aucun doute la Vierge Marie, le symbole du temple vivant. Pourtant, elle est représentée avec des proportions réduites pour signifier son jeune âge, mais elle est habillée comme une adulte et son aspect n’a rien d’une enfant de trois ans. Elle porte les vêtements avec lesquels elle sera toujours traditionnellement représentée : la robe bleue et le "maphorion" de couleur pourpre. Elle se tient droite, sûre d’elle, et regarde celui qui la reçoit dans le sanctuaire, le prêtre Zacharie, père de Jean-Baptiste, désigné par l’auréole qui entoure sa tête dont les cheveux et la longue barbe sont ceux d’un vieillard. En s’inclinant, il accueille la Vierge devant les portes du Temple, les bras ouverts et écartant les pans de son manteau écarlate. Ces deux personnages constituent une unité visible bien distincte des personnages qui les accompagnent. La rencontre est encadrée par le périmètre de cette sorte d’enclos de couleur vert foncé où se tiennent Zacharie et Marie.
En haut à gauche se déroule une scène postérieure à la Présentation. La Vierge Marie apparaît une seconde fois, assise dans un fauteuil de marbre, levant les mains vers un ange qui lui tend un pain. Le récit du Protévangile de Jacques rapporte en effet que, pendant les onze années que Marie a passées dans le Temple, elle était nourrie par un ange qui, chaque jour, lui apportait un pain. L’image montre ce pain rond comme on les fabriquait à cette époque, mais il s’agit de la représentation matérielle d’une nourriture céleste.
Le siège où Marie est assise est lui-même couvert d’un second "ciborium" qui représente le Saint des Saints, la chambre immaculée du Verbe.
En arrière-plan apparaît un mur et des constructions où est suspendue une tenture. L’iconographe veut ainsi signifier que l’événement se situe à l’intérieur.
Revenant au premier plan, nous pouvons examiner la seconde partie de l’icône. Derrière la Vierge déjà entrée dans le sanctuaire, nous voyons Anne et Joachim, ses parents, suivis de huit jeunes filles portant des cierges et dont la variété des poses et des vêtements (inspirée de la peinture vénitienne) anime la scène.
La scène est telle que la chante Joseph l’Hymnographe : "Les jeunes filles avec les lampes allumées marchent devant toi, qui es destinée à accueillir en toi la lumière née de la lumière, et elles te conduisent en cortège dans le Temple resplendissant de Dieu." L’iconographe a ici fait resplendir le Temple de Dieu avec la feuille d’or qui couvre tout l’arrière-plan de l’icône, au-delà du mur. Les jeunes filles portant des cierges allumés font allusion à la glorification de la Mère de Dieu et évoquent l’épisode des vierges sages qui vont à la rencontre de l’époux (Mt 25, 1-13).
Anne, vêtue d’une robe bleue et d’un maphorion du même écarlate que le manteau de Joachim, a encore la main tendue, comme son époux : ils viennent de remettre Marie au grand prêtre. La tradition nous dit que Marie resta dans le Temple jusqu’à ses quatorze ans avant d’en sortir pour y être mariée à Joseph.
II.
L’intérêt des peintres et de leur public pour la vie de Marie croît à la fin du Moyen Âge car ses récits lui confèrent de l’humanité. Progressivement, la tradition byzantine va laisser place aux images de plus en plus réalistes. Les peintres témoignent à travers leurs tableaux de la proximité que les croyants ont voulu instaurer avec la figure de Marie, créant un lien plus émotionnel, ce qui fait de ces peintures des témoignages touchants de la piété populaire.
Cette proximité se ressent dans le retable de Paolo di Giovanni Fei, dont seule la partie centrale est visible aujourd’hui.
Présentation de la Vierge au Temple, Paolo di Giovanni Fei (1398)
National Gallery of Art, Washington
Paolo di Giovanni Fei (1345-1411) est un peintre de l’école siennoise, dans la veine de Simone Martini et des frères Lorenzetti, et qui a probablement eu pour maître Bartolo di Fredi.
De ce peintre, dont la participation active à la vie politique de la ville est documentée et qui fut membre du Conseil général de la République de Sienne en 1369, peu d’œuvres peuvent être identifiées avec certitude, et parmi celles-ci se trouve la Présentation de la Vierge au Temple.
Ce polyptyque a été réalisé pour la chapelle Saint-Pierre de la cathédrale de Sienne, comme l’atteste un document de 1398. C’est un exemple d’un moment significatif dans l’évolution du style de l’artiste.
Le traitement de l’espace révèle la modernité de Paolo di Giovanni Fei. L’intérieur du Temple de Jérusalem se présente comme une église gothique, le type d’architecture que ses contemporains pouvaient reconnaître. L’espace est complexe mais les arcades et fenêtres dans les parties latérales sont construites en suivant de grandes lignes qui les unissent, notamment ces lignes horizontales rose saumon qui parcourent l’édifice.
La structure architecturale du retable sépare trois groupes de personnages. Au centre, les colonnes
de marbre rose, aux chapiteaux corinthiens, mettent l’accent sur la scène principale. Le peintre a placé Marie en haut d’un escalier de marbre blanc comportant sept marches. Elle se retourne vers ses parents qui l’accompagnent à gauche, tandis que deux prophètes, ou deux prêtres, et un groupe de jeunes filles dans une tribune au-dessus complètent la scène à droite.
Marie ne porte plus le vêtement traditionnel représenté sur les icônes byzantines. Mais sa robe et celle du prêtre qui l’accueille ainsi que leur nimbe sont faits à partir d’une feuille d’or dont l’utilisation rappelle la technique ancienne utilisée sur les icônes, appelée "sgraffito" en italien, et qui permet d’imiter la richesse du brocard. L’artiste peint sur la feuille d’or puis il gratte avec une pointe le décor sur la couche de peinture pour laisser apparaître la dorure et créer des motifs. Le tableau devient alors un véritable objet de luxe presque autant qu’il est un objet de dévotion.
De même, la perspective est plus soignée et ajoute du réalisme à la scène représentée en dirigeant notre regard vers la scène centrale.
Dès le premier coup d’œil, le spectateur est charmé par la grâce des couleurs dont l’usage devient plus subtile. Le rose est presque la couleur dominante. Non seulement il est utilisé par le peintre dans l’architecture du bâtiment, mais il fait écho au manteau de Joachim et de l’un des deux prophètes, et, plus discrètement, à la robe du prêtre et celle d’une des jeunes filles. Nous remarquons aussi les nuances du bleu lapis-lazuli utilisé à plusieurs reprises, notamment sur le manteau de Anne dont on aperçoit la doublure écarlate, et l’originalité de la couleur verte du manteau du personnage agenouillé près des enfants au premier plan. La peinture reste claire et aérienne malgré le nombre de personnages et la complexité de sa composition.
La touche de modernité et de réalisme apparaît aussi dans l’expression des visages où l’on sent que le peintre vise à animer la narration de l’événement. Les sourcils froncés de Joachim et sa main tendue vers Marie ne montrent pas seulement le geste accompli mais révèlent aussi la tension intérieure du personnage. À droite, les deux prêtres se parlent. Ils semblent commenter ce qui se passe. Approbation ? Désapprobation ? Leur visage est fermé.
De même, au premier plan, la présence des enfants rend la scène familière, naturelle. Les deux petits garçons se tiennent par la main. Ils portent leurs "habits du dimanche". Celui à la robe rouge montre du doigt et paraît expliquer à son camarade ou à son petit frère la scène qui se déroule sous leurs yeux. Le peintre les a un peu décalés sur la gauche, rompant l’uniformité de la composition.
L’ iconographie de la Présentation est liée à la tradition siennoise. Mais, pour autant, nous remarquons bien des éléments qui révèlent la liberté de Paolo di Giovanni Fei, comme encore la recherche du détail dans ce beau carrelage sur lequel marchent les personnages au premier plan et les bandes de brocard qui ornent tous les vêtements.
Derrière l’imagination du récit apocryphe du Protévangile de Jacques, la fête de la Présentation de Marie au Temple est le symbole de la consécration de la Sainte Vierge au Seigneur. Elle souligne la disponibilité de la Vierge à la volonté divine : le cœur de Marie est entièrement dédié à Dieu. Cette consécration à Dieu anticipe son acquiescement total lors de l’Annonciation, Marie allant devenir le Temple prêt à accueillir Dieu fait homme.
Les artistes dont nous avons admiré les œuvres ont bien su représenter ce don total et irréversible.
Le docteur de l’Eglise Saint Alphonse-Marie de Liguori a écrit à ce propos une belle prière que l’on peut faire sienne :
"Ô Marie, Enfant de Dieu, que ne puis-je Vous offrir et Vous consacrer les premières années de ma vie, comme Vous vous êtes offerte et consacrée au Seigneur dans le Temple ! Mais, hélas ! Ces premières années sont déjà bien loin de moi ! J’ai employé un temps si précieux à servir le monde et Vous ai oubliée en écoutant la voix de mes passions. Toutefois il vaut mieux commencer tard à Vous servir que de rester toujours rebelle. Je viens donc aujourd’hui m’offrir tout entier à votre service, et consacrer à mon Créateur, par votre entremise bénie, le peu de jours qu’il me reste encore à passer sur la terre. Je Vous donne mon esprit, pour qu’il s’occupe de Vous sans cesse, et mon cœur, pour Vous aimer à jamais. Accueillez, ô Vierge Sainte, l’offrande d’un pauvre pécheur ; je Vous en conjure par le souvenir des ineffables consolations que Vous avez ressenties en Vous offrant à Dieu dans le Temple. Soutenez ma faiblesse, et par votre intercession puissante obtenez-moi de Jésus la Grâce de Lui être fidèle, ainsi qu’à Vous, jusqu’à la mort, afin qu’après Vous avoir servie de tout mon cœur pendant la vie, je participe à la Gloire et au Bonheur éternel des élus. Ainsi soit-il."