La mort de la Vierge (2024)

Après la mort de Jésus, surviendra à son tour la mort de la Vierge Marie, sa Mère.
Observons comment l’Eglise d’Orient et l’Eglise d’Occident la représentent et méditons devant deux œuvres.

Comme pour la fête de la Nativité de la Vierge et de son entrée au Temple, nous ne disposons d’aucune source biblique ni historique pour évoquer cet événement. Toutes ses représentations reposent donc sur des textes apocryphes et des légendes : le corpus intitulé "Transitus Mariae" (qui signifie exactement "le passage de Marie") qui date du Vème siècle, et la Légende dorée de Jacques de Voragine, qui date du XIIIème siècle.
Pour évoquer la mort de Marie, la tradition occidentale va utiliser le terme "Assomption", tandis que la tradition des Églises d’Orient retiendra le terme "Dormition".
Mais n’oublions pas que le pape Benoît XVI a rappelé que la Dormition précédait l’Assomption et que cet événement a été reconnu par la foi ininterrompue de l’Eglise.


I. La Dormition de la Vierge

Elle est l’une des douze grandes fêtes de l’Eglise orthodoxe, caractérisée par l’idée d’une mort sans souffrance, d’un repos éternel et d’une paix intérieure. Le mot grec qui la désigne est κοίμησις (kímisis). Le mot "Dormition" est un terme religieux issu du latin "dormitio", que l’on peut traduire par "sommeil éternel".
La date de sa fête a été fixée par l’empereur byzantin Maurice Ier (VIème siècle de notre ère) au 15 août. Il y est proclamé que Marie a été "élevée" par Dieu jusqu’au royaume céleste du Christ, dans la plénitude de son existence physique et spirituelle. Elle est précédée d’un jeûne strict de quatorze jours.
La fête orthodoxe de la Dormition est proche de celle de l’Eglise romaine appelée Assomption mais il y a des divergences. Selon la tradition orthodoxe, Marie est morte comme tout être humain, non "volontairement" comme son Fils, mais par la nécessité de sa nature humaine mortelle, liée à la corruption de ce monde après la Chute. Le terme κοίμησης (kímisis) indique donc que Marie s’est endormie paisiblement et qu’elle est morte sans souffrance, dans un état de paix spirituelle, et que son corps n’a subi aucune putréfaction avant de s’élever vers le Ciel.

Selon l’évangile apocryphe de saint Jacques, la Vierge Marie a quitté sa vie terrestre à Ephèse, onze ans après la Crucifixion de son Fils Jésus. Une autre tradition rapporte qu’elle est morte à Jérusalem et que sa dépouille est à Gethsémani.
Les apôtres étaient miraculeusement présents à cet événement, à l’exception de Thomas. Il serait arrivé trois jours plus tard. Désirant voir la Vierge une dernière fois, il convainc les autres apôtres d’ouvrir le tombeau qu’ils trouvent vide, témoignage du transfert au Ciel de la Mère de Dieu et de sa réunion à son âme auprès de son Fils. Cet événement est compris comme les prémices de la résurrection des corps, qui aura lieu lors du second avènement du Christ. Une version de cette tradition veut que Thomas, absent de la Dormition de la Vierge à Jérusalem, soit transporté miraculeusement au jardin de Gethsémani où il assiste à l’élévation du corps de Marie et reçoit du Ciel la ceinture avec laquelle les autres apôtres avaient ceint le corps de la Vierge. Les reliques de cette ceinture, portées par diverses traditions, apparaissent en nombre en Occident au Moyen Âge et un culte se développe rapidement.

Les représentations de la Dormition comme celles de la Mort de la Vierge sont nombreuses et anciennes. Le thème est traité dans divers matériaux, comme l’atteste cette belle plaque d’ivoire de Byzance datant du Xème ou XIème siècle. Cependant ce sont les peintres qui ont le plus souvent représenté cet événement, à commencer par les iconographes.
Nous allons donc nous attacher à observer une icône et à en repérer les codes.

La Dormition de la Vierge
École macédonienne. XVIème siècle. Tempera et or sur bois.
Legs Roger Cabal. Petit Palais, Paris
23,3 x 17,2 cm

Dans les décennies qui ont suivi la chute de Constantinople, la Grèce méridionale, en particulier le Péloponnèse, a été rapidement soumise à l’influence artistique de la Crète, dont elle copie nombre de modèles, tandis que la Grèce centrale et la Grèce du Nord développent un art propre, dont les centres sont le Mont Athos, les Météores, Ioannina, ou encore Castoria et Veria, villes dans le sillage de Thessalonique. L’art y est marqué par une tendance au conservatisme, que l’on peut observer dans la très belle icône de la Dormition de la Vierge.

Ce qui frappe immédiatement le regard du spectateur, c’est la construction géométrique de l’image dont nous montrerons plus tard l’importance : une ligne verticale marque le centre exact de l’icône où se trouve le Christ. Elle rencontre une ligne horizontale formée par le lit mortuaire. Le corps mort de la Vierge forme un contraste saisissant avec le dynamisme du Christ, son Fils.
En bas de l’icône, devant le lit mortuaire, un cierge est allumé. Il rappelle comment Marie, celle qui a enfanté Dieu, est le candélabre de la lumière inaccessible, lumière devenue accessible par l’Incarnation du Fils de Dieu devenu homme parmi les hommes. C’est la lumière divine donnée par le Christ à toute l’humanité après sa Résurrection, gage d’espérance pour le salut des hommes.
Le lit mortuaire est drapé de rouge sombre. Marie repose sur un drap, les mains croisées, la tête légèrement relevée, comme si elle dormait, les yeux clos. Elle porte son manteau pourpre, symbole de royauté, sur lequel les étoiles rappellent sa virginité perpétuelle. Le corps semble exagérément allongé. L’horizontalité évoque l’ordre terrestre soumis à la mort. Son visage a la couleur de celui des personnages qui l’entourent : sa chair est imputrescible. Rappelons que, sur les icônes, le proplasme (l’ "avant" de la Création ) est une couleur qui rappelle le terreau commun de l’humanité, avant que le peintre ne monte peu à peu ses couleurs vers la lumière.
Les apôtres entourent la dépouille de Marie. Aucun ne porte le nimbe de la sainteté. C’est leur humanité et leur chagrin qui importent.

À gauche, nous reconnaissons Pierre. Le manuel d’iconographie attribué à Denys de Fourna indique précisément que l’apôtre doit être peint comme un "vieillard, barbe arrondie". Sa chevelure abondante, courte et légèrement bouclée le confirme. Il encense le corps de la Vierge Marie. À droite, Paul, "chauve et barbe grise", se prosterne sur le lit mortuaire.
D’autres apôtres ainsi qu’une femme, la tête couverte d’un voile rouge, les accompagnent, réunis pour la déploration, tous ayant convergé vers Jérusalem représentée par les deux architectures qui encadrent la scène ( à droite, le temple surmonté du voile rouge). La perspective qu’elles créent est inversée, comme le veut la tradition des icônes : les lignes convergent vers le spectateur. L’attitude des apôtres entourant Marie exprime divers sentiments : certains montrent leur incompréhension, d’autres une profonde tristesse, d’autres encore une profonde vénération.
Les deux apôtres Pierre et Paul, les deux piliers de l’Eglise, sont mis en relief comme s’ils étaient la proue et la poupe du navire céleste constitué par le corps de la Vierge et dont le mât serait le Christ. Ce navire céleste, l’Eglise, nous mène au port du salut.
De part et d’autre du Christ, formant une ligne horizontale au centre du tableau, deux ecclésiastiques portant les attributs des évêques célèbrent la liturgie. Peut-être l’apôtre Jacques, premier évêque de Jérusalem, et Denys l’Aréopagite, premier évêque de Corinthe et disciple de Paul, portant un livre ouvert dans lequel on peut déchiffrer une phrase en grec : αλλά μεταβέβικε εκ του θανάτου (alla metavevike ek tou thanatos), c’est-à-dire "elle a été arrachée de la mort".

Il est évident que le personnage principal est le Christ. Au centre de l’icône, légèrement plus grand que les autres personnages, il s’inscrit dans une mandorle bleu nuit sur laquelle sont esquissés, en légers traits blancs, deux anges à l’immortalité manifeste, tandis qu’un séraphin rouge enveloppé dans ses ailes est placé au-dessus du nimbe du Christ. Il s’agit d’un attribut trinitaire mais également de l’image du Christ-séraphin qu’on trouve dans les apocryphes. La mandorle — qui signifie que le monde céleste est soustrait aux lois de l’espace et du temps — sombre ici, pourrait représenter le gouffre de la mort devant lequel se dresse le Christ, vêtu d’un manteau ocre jaune strié d’or, qui lui couvre les mains en signe de respect.
Dans la lignée des anciens dieux psychopompes (= qui conduit l’âme), le Christ reçoit l’âme de sa Mère, représentée sous la forme d’un bébé emmailloté.
L’âme de Marie est dans les bras du Christ ressuscité. Emmaillotée comme un nouveau-né dans des langes, elle reçoit la vie nouvelle, la vie divine. Elle naît au Ciel par son Fils. Cette image inverse le rapport mère-enfant. Alors que Marie a donné son humanité au Fils de Dieu à la Nativité, ici, c’est le Fils de Dieu glorifié qui lui donne en retour la divinité.
En haut, au centre de l’icône, les portes du Paradis émergent des cieux représentés par un double hémisphère bleu strié de rayons d’or. Les lignes directrices du tableau convergent vers ces portes. La ligne verticale qui part du cierge allumé en bas du tableau, passe par le Christ au centre et aboutit au Ciel.
De part et d’autre des portes du ciel , deux inscriptions en slavon.
Pour terminer ces observations, nous remarquons que la palette des couleurs est réduite. Y dominent le bleu outremer, l’ocre jaune et le rouge. Traditionnellement, l’or, lumière divine, est utilisé pour le fond de l’icône, les nimbes et le manteau du Christ selon la technique du sgraffito.

L’icône de la Dormition de la Vierge Marie est donc l’image du passage de la mort à la vie, de la condition terrestre à la béatitude céleste, qu’assure la foi au Christ ressuscité. Elle représente l’accomplissement, dans une personne humaine, du processus de transfiguration commencé au baptême.
L’icône de la Dormition révèle ainsi la signification ultime de l’Incarnation du Verbe : faire participer l’humanité à la plénitude de la divinité dans le Père par son Esprit.
Marie est ici élevée par son Fils. Au contraire de nous tous dont la transfiguration de la chair n’interviendra qu’à la résurrection finale, Marie connaît cette plénitude sans délai. Elle est la première, parmi les croyants, à entrer pleinement dans la vie éternelle.


II. La Mort de la Vierge dans le monde occidental

Le thème a continué d’être représenté en Occident sur le modèle des icônes ou en s’en inspirant, en témoigne la Dormition de la Vierge peinte par Maso di Banco au XIVème siècle (tempera sur bois de peuplier).
C’est une œuvre du XVème siècle, ne provenant pas des rivages de la Méditerranée, qui retiendra notre attention aujourd’hui.

La Mort de la Vierge, Hugo van der Goes
2nde moitié du XVème siècle. Huile sur panneau de bois de chêne.
Groeningen Museum, Bruges
147,8 x 122,5 cm

Huygue van der Goes — latinisé en Hugo van der Goes — est un peintre flamand des Pays-Bas bourguignons, né dans une famille d’artistes de Gand vers 1440. On ne sait rien avec certitude sur la vie de l’artiste avant 1467, année où il est reçu maître à la guilde des peintres de Gand dont il devient le doyen en 1474. Il y travaille à diverses commandes majeures pour le compte de Tommaso Portinari, le représentant de la banque des Médicis à Bruges, ainsi que pour la cour de Bourgogne, des villes néerlandaises, diverses institutions ecclésiastiques, la riche bourgeoisie flamande et même pour des compagnies italiennes établies dans les Pays-Bas bourguignons. Pourtant, il semble n’avoir signé aucun de ses tableaux. Seuls quatorze lui sont aujourd’hui attribués, ainsi que deux dessins.
En 1477, il est à l’apogée de la reconnaissance professionnelle et de la réussite sociale. C’est alors qu’il abandonne la vie bourgeoise et devient frère convers auprès de la communauté réformée de l’abbaye du Rouge-Cloître dans la forêt de Soignes, près d’Auberghem (Bruxelles). Bénéficiant de certains privilèges, comme d’être autorisé à continuer à peindre, c’est de cette période que date probablement La Mort de la Vierge, exécuté à la demande de Jean Crabbe, abbé cistercien de l’abbaye Ten Duinen de Coxyde.
Probablement atteint de maladie mentale et sujet à de graves crises de dépression, il meurt à l’abbaye du Rouge-Cloître en 1482.

La scène est située dans une pièce fermée. On aperçoit en haut à droite un rideau à moitié tiré et une lampe suspendue. L’intérieur est simple : de la terre battue au sol et un grand lit qui occupe toute la pièce. Ce qui rend ce tableau exceptionnel, c’est la dramaturgie imaginée par le peintre. L’exiguïté de la chambre fait que les apôtres forment un cercle resserré autour du lit mortuaire recouvert de drap bleu où Marie est allongée, au centre de la composition en trois plans successifs. Sa tête repose sur un coussin blanc. Le voile blanc qui enserre sa tête et retombe sur sa poitrine met en évidence son visage livide. Elle porte une robe bleue. Ses genoux sont légèrement relevés. C’est le moment où la vie glisse doucement, mais où la mort n’est pas encore là.

Les mains jointes, elle lève les yeux, à peine entrouverts, vers le Ciel où son Fils lui apparaît dans sa gloire, les bras ouverts, montrant les paumes de ses mains marquées par les stigmates. Il est vêtu d’une robe bleu pâle couverte d’un grand manteau rouge fermé par un bijou, dont les pans sont tenus par deux anges. Autour de sa tête, d’autres anges, en grisaille, chantent la gloire de Dieu.
Nous avons parlé de la dramaturgie, mais ce qui rend ce tableau si exceptionnel aussi, c’est la façon dont Hugo van der Goes aborde le thème sous un nouvel angle, en mettant l’accent sur la réaction individuelle de chacun des apôtres au moment de la mort de la Vierge Marie. Il ne s’agit pas ici de les identifier — mis à part deux d’entre eux — mais de montrer leurs émotions. Ce n’est pas seulement l’âge et la couleur de leurs cheveux qui les différencient, mais leurs mains, la position de leurs têtes et leurs visages où se lisent leur profonde tristesse et les différentes expressions de la douleur.

Au premier plan, de part et d’autre du tableau, assis à même le sol, deux apôtres. Celui de droite, présenté de face, regarde le spectateur et l’invite à ouvrir le livre qu’il tient dans ses mains : c’est la Parole de Dieu. Entièrement vêtu de rose aux nuances subtiles, jusqu’à l’étoffe qui couvre ses cheveux, il éclate de sa présence. On aperçoit ses pieds maigres et déformés sous sa robe. Ils touchent presque le pied droit de Paul, à gauche, dont on voit l’ossature et les tendons. Selon la tradition, L’apôtre Paul est chauve. Son manteau brun-vert laisse voir sa belle robe dont le bleu répond au bleu de la robe de Marie et de celle du Christ, balayant toute l’œuvre. La position des mains de l’apôtre, en diagonale, la gauche posée sur le catafalque, dirige notre regard vers le lit où repose la Vierge. Un grand chapelet, signe de dévotion envers la Vierge, est posé sur le sol, à côté de lui.

Au deuxième plan, de part et d’autre de Marie, les neuf autres apôtres disent leur chagrin. Le plus jeune, peut-être Jean, vêtu de rose et de rouge, ne dissimule pas sa douleur, les yeux presque fermés, sa main gauche montrant Marie qu’il avait recueillie chez lui après la mort de Jésus. En face de lui, Pierre est penché, n’osant pas lever les yeux, les mains ouvertes en signe de vénération. Au-dessus, l’un des autres apôtres allume un cierge tenu par un homme en habit ecclésiastique, peut-être saint Jacques, le premier évêque de Jérusalem. Le cierge allumé rappelle celui que l’on voyait sur l’icône de l’école macédonienne, qui dit que Marie est le candélabre de la lumière divine.

La minutie et le raffinement des détails sont impressionnants : barbes, cheveux, tissus... On a presque l’impression que, si on touche le tableau, on va sentir la réalité de la texture. La beauté des drapés, les couleurs éclatantes, l’équilibre entre tons chauds et tons froids, la finesse des traits des visages et l’expression des gestes font de ce grand tableau une œuvre maîtresse du musée Groninge de Bruges, œuvre qui représente l’une des scènes les plus impressionnantes et émouvantes de l’art du Bas Moyen Age.
La majorité de l’œuvre originale de Hugo van der Goes n’a pas été conservée. Mais les nombreuses copies ultérieures des originaux perdus témoignent de l’immense influence du peintre dans l’art flamand. Une copie du XVIème siècle de la Mort de la Vierge est d’ailleurs conservée dans la cathédrale Saint-Sauveur à Bruges.
L’artiste fait partie des peintres flamands les plus importants et innovants de la fin du XVème siècle par sa manière sans pareille de représenter les personnages et les expressions réalistes de leur visage. Il est considéré comme l’un des portraitistes les plus importants de l’Europe du XVème siècle. À cette époque, le portrait commençait à prendre de l’importance dans l’art en raison de l’intérêt porté à l’individu, favorisé par la montée de l’Humanisme.

Contrairement à l’Assomption, la mort de la Vierge Marie n’est pas un dogme, même si cet événement a été reconnu par l’Eglise catholique et rappelé par le pape Benoît XVI. Cependant, et malgré l’absence de son récit dans la Bible, nombre d’artistes, et non des moindres, l’ont représentée. Nous pouvons admirer en ce moment au Mobilier National aux Gobelins, à Paris, les splendides tentures restaurées de la vie de la Vierge, datant du XVIIème siècle et exposées chaque année dans la cathédrale de Strasbourg pour les fêtes de la Nativité. Parmi les événements clés illustrés, on a retenu la Dormition de Marie.
La Vierge Marie est un modèle de l’Eglise et signe d’espérance et de consolation pour le peuple chrétien.

Le groupe Fra Angelico
Saint-Jean des Deux-Moulins

Paroisse Saint-Jean des Deux Moulins
185 rue du Château-des-Rentiers, 75013 Paris
01 45 70 94 75
paroissesj2m@gmail.com
https://sj2m.fr

Le groupe Fra Angelico