La Création (2023)
Le récit de la Création fait dans la Genèse nous rappelle que, par un acte d’amour, Dieu a créé l’univers et l’homme à son image. Regardons comment l’image qu’en a donnée un peintre italien du XVème siècle nous met face aux conséquences du péché originel.
La Création du monde, et Adam et Ève chassés du paradis terrestre, Giovanni di Paolo (1445)
Tempera et or sur bois. 46,4cm x 52,1cm.
Metropolitan Museum of Art, New-York
Ce tableau fait partie de la prédelle d’un retable destiné à l’église San Domenico de Sienne, aujourd’hui démantelé. Il était placé à côté de représentations du Paradis ainsi que du Jugement dernier, de L’Enfer, et du Déluge (œuvres perdues).
Giovanni di Paolo (1398-1482) est un peintre et enlumineur de l’école siennoise du XVème siècle. Il est né près de Sienne, à Poggio et, en raison de son lieu de naissance, il est parfois appelé Giovanni di Poggio. Il a probablement fait son apprentissage auprès de Taddeo di Bartolo mais ses œuvres, exclusivement de caractère religieux, révèlent l’influence des peintres du gothique international, notamment de Gentile da Fabriano, et de la miniature française.
Ce tableau illustre deux épisodes de la Création racontée dans le livre de la Genèse dans deux récits différents qui disent comment les anciens Israélites se représentaient les origines du monde et le début de l’humanité (cf. ci-contre, le ch. 1 de la Vulgate, Bible de Nüremberg, 1455). Avec les images et les histoires de leur temps, ils affirment surtout que le monde et l’histoire des hommes sont dans les mains de Dieu. C’est ce que nous dit le tableau de Giovanni di Paolo dans une composition simple. Notre regard observe trois sujets inscrits dans des cercles. À gauche en haut, Dieu le Père indique de la main droite, en bas, les cieux et la terre qu’il vient tout juste de créer ; à droite, Adam et Ève sont chassés du Paradis. Cette peinture est à la fois féerique, irréelle, et remplie de détails précieux rappelant La Divine Comédie, écrite par Dante près d’un siècle et demi plus tôt et que connaissait Giovanni di Paolo.
L’univers est présenté comme un globe céleste avec la terre au centre entourée de cercles concentriques, dans un dégradé de bleus, représentant les quatre éléments, eau, terre, mer et feu, les cercles des planètes connues et les constellations du zodiaque dans l’avant-dernier cercle extérieur. Au centre, sous la forme de montagnes ocre sillonnées de rivières, émerge la terre, entourée de verdure.
Présidant à cette création, Dieu, baigné d’une lumière céleste, est comme porté par des ailes de séraphins d’un bleu plus intense que celui de la robe. De sa main gauche, il retient son manteau dont les plis moirés sont gonflés par le déplacement de l’air. Le nimbe est d’un or plus orangé que celui de la lumière dont les rais fins sont visibles. L’art du miniaturiste se reconnaît aussi dans la finesse des ondulations des cheveux et de la barbe gris.
À droite, le peintre nous révèle le jardin du Paradis, arrosé par les quatre bras du fleuve (Gen.2,10) représentés au bas du tableau. Une nature généreuse resplendit sous les pas d’Adam et Ève, paradis regorgeant d’arbres fruitiers, de lys, de roses et de chrysanthèmes. Un lapin apparaît entre les pieds d’Eve et d’Adam. Les couleurs brillantes éveillent les sens. On sentirait presque le parfum des fleurs qui s’ouvrent ou l’odeur des feuillages. Giovanni di Paolo insiste dans ce paysage sur les fines observations naturalistes chères au gothique international.
Les magnifiques arbres du jardin, dessinés avec une grande minutie, évoquent la pureté originelle de l’homme avant qu’il soit chassé de l’Eden. Il y en a sept, élancés et lourds de fruits, qui font à leur façon le compte des six jours de la Création divine et du septième jour, celui du repos.
Un ange aux ailes et au nimbe dorés presse Adam et Ève de s’en aller. Ils ont désobéi, cédé à la tentation de la connaissance du bien et du mal. Et voilà le prix à payer : ils étaient créés à l’image de Dieu, maintenant ils n’ont plus rien ; ils sont nus, et ils s’en rendent compte pour la première fois. Ève sort la première, Adam derrière elle. Puisqu’il l’avait suivie dans le péché, il la suit encore dans le châtiment. L’un derrière l’autre, pourtant ensemble à jamais, dans la complémentarité de leur couple : elle avance la jambe droite, lui avance la gauche. Leur marche semble celle d’un seul corps.
En les faisant sortir de l’image, le peintre souligne la signification de son sujet. Sortir du Paradis, c’est quitter la paix absolue pour les péripéties de l’humanité, la faim et la soif, le froid, la douleur, la solitude, et se soumettre au parcours obligé de la naissance à la mort. C’est perdre l’éternité. Adam et Ève ne s’apprêtent pas simplement à sortir du jardin, ils inaugurent l’histoire humaine. Tellement peu sûrs de leur chemin, l’un et l’autre se retournent vers l’ange. Regardant en arrière, vers la gauche de l’image, ils s’imaginent peut-être pouvoir encore contrecarrer le destin. Mais, arc-bouté, l’ange les pousse inexorablement hors du jardin.
On peut s’étonner de la nudité de l’ange, inhabituelle dans l’iconographie. Nu, comme Adam et Ève, le corps mince et allongé comme le leur, il paraît étrangement humain. Et si nous adoptions le point de vue d’Adam et d’Eve ? Dès l’instant où ils sont maudits, c’est leur regard qui compte dans l’image. Définitivement humains, créatures limitées par le péché qui gouverne désormais leur existence terrestre, ils n’ont plus accès à un être purement spirituel. Et c’est avec leurs yeux de chair qu’ils voient cet ange : seul et nu. Comme ils se voient eux-mêmes.
Dans les récits mésopotamiens dont se sont inspirés les auteurs du récit de la Genèse, le monde s’est créé en sept étapes. C’est parce qu’à chaque fois il a fallu recommencer, chacune des six premières étapes se finissant mal. Les auteurs de la Bible ont rejeté cette vision : les sept étapes ne sont plus des échecs mais une progression vers la perfection. Et ce n’est pas par hasard si, à la fin de la plupart des actes de Dieu, le texte insiste par "Dieu vit que cela était bon".
L’univers créé par Dieu et représenté par Giovanni di Paolo est enfermé dans un cercle parfait dans lequel il n’y a plus de place pour les créatures pécheresses.