Le Baptême du Christ (2024)
Après les fêtes de la Nativité de Jésus, de l’Epiphanie et du Baptême du Christ, nous entrons à nouveau dans le Temps Ordinaire. Regardons deux œuvres qui illustrent cette dernière fête et méditons sur cet acte fondateur.
Le Baptême du Christ par Jean dit le Baptiste dans les eaux du Jourdain est le premier événement de la vie publique de Jésus. Il est relaté dans les quatre Évangiles synoptiques (Matthieu 3, 13-17 ; Marc 1, 9-11 ; Luc 3, 21-22 ; Jean 1, 26-34), mais différemment. Celui de Jean est le plus elliptique. Il ne raconte pas le baptême mais la proclamation solennelle, faite par le précurseur, de la théophanie baptismale.
Venant de Nazareth en Galilée, Jésus descend jusqu’au Jourdain, à Béthanie, pour y être baptisé par Jean. Le lieu du Jourdain a une signification particulière dans la Bible : dans l’Ancien Testament, c’est l’une des limites de la Terre Promise aux Hébreux menés par Moïse. Celui-ci, n’ayant pas le droit d’entrer dans la Terre Promise, ne peut pas franchir le Jourdain. Par ailleurs, les Juifs traversaient le Jourdain pour se faire baptiser par Jean. Baptême de conversion. À travers ce baptême, ils se reconnaissaient pécheurs et pouvaient de nouveau entrer dans la Terre Promise après leur baptême. L’immersion de Jésus dans le Jourdain montre sa volonté de prendre en charge les péchés du monde.
L’évangéliste Luc écrit : " Or il advint, une fois que tout le peuple eut été baptisé et au moment où Jésus, baptisé lui aussi, se trouvait en prière, que le ciel s’ouvrit, et l’Esprit Saint descendit sur lui sous une forme corporelle, comme une colombe. Et une voix partit du ciel : "Tu es mon Fils ; moi aujourd’hui je t’ai engendré."
Le récit de ce baptême décrit une théophanie, c’est-à-dire une manifestation de Dieu de la Trinité : Jésus-Christ, le Fils, se faisant baptiser, une colombe symbolisant l’Esprit Saint, et la voix de Dieu, le Père.
L’Eglise catholique, dans le rite romain, fête le baptême du Christ le dimanche qui suit l’Epiphanie. L’Eglise orthodoxe célèbre cet événement le 19 janvier (calendrier grégorien).
Le Baptême du Christ est un thème artistique mille fois représenté dans l’iconographie chrétienne. Nous avons choisi de présenter deux chefs-d’œuvre réalisés à des époques et dans des matériaux différents : des émaux du XIIème siècle et une huile sur panneau de bois du XVIème siècle.
Le Baptême du Christ
I. Les émaux champlevés de Nicolas de Verdun
Si la technique de l’émail, apparue au XIIème siècle, est bien connue à Limoges, elle l’est aussi du côté de la Moselle et du Rhin. Et l’un des artistes qui la maîtrise le mieux est l’orfèvre Nicolas de Verdun.
On ne sait que peu de choses de lui. Les dates sont incertaines. Selon les uns il serait né vers 1130 à Verdun (donc en Lorraine) et mort vers 1205 à Tournai. Selon d’autres, il serait né à Tournai (actuellement ville belge mais alors rattachée à la couronne de France ; cependant la partie wallonne de la vallée de la Meuse appartenait au Saint Empire romain germanique sans en parler la langue).
Sa renommée est grande et lui vaut de travailler à Tournai, en Allemagne et en Autriche. On lui attribue avec certitude trois ouvrages : l’ambon de Klosterneuburg (signé), le reliquaire de Tournai (actuellement en Belgique), et le reliquaire des Mages (conservé dans la cathédrale de Cologne). Nicolas de Verdun est l’un des plus grands artistes du Moyen Âge, l’une des figures clés de la compréhension du tournant de la fin du XIIème siècle et du XIIIème, que les critiques appelleront plus tard le "style 1200".
C’est pour l’abbaye de klosterneuburg, aux portes de Vienne (Autriche), fondée en 1114 par saint Léopold (Léopold III le Pieux, canonisé, qui deviendra le saint patron de l’Autriche), et devenue augustinienne en 1133, qu’il réalise un ambon.
Après l’incendie de 1330 qui ravage l’église et provoque l’écroulement de la tour-lanterne éclairant la croisée de transept, l’œuvre, sauvée in extremis par les moines, est démontée, restaurée et transformée en un retable à volets. Tout d’abord exposé sur le maître-autel de la nouvelle église, le retable, qui n’est plus au goût esthétique du jour, est relégué en 1714 dans une resserre de l’abbaye et échappe ainsi aux déprédations des troupes napoléoniennes en 1809. Ce chef-d’œuvre du travail de l’émail champlevé se trouve désormais dans la chapelle saint Léopold de l’abbaye.
Nous sommes renseignés sur cet ouvrage par l’auteur lui-même qui a pris le soin de nous transmettre outre son nom, les circonstances de la commande et la date de son achèvement. Une inscription latine en lettres capitales nous dit :
ANNO MILLENO CENTENO SEPTUAGENO
NEC NON UNDENO GWERNHERUS CORDE SERENO
SEXTUS PRAEPOSITUS TIBI VIRGO MARIA DICAVIT
QUOD NICOLAUS OPUS VIRDUNENSIS FABRICAVIT
C’est-à-dire : "L’année où à mille cent soixante-dix s’ajoutent onze, Gwernherus, le cœur serein, alors sixième prieur, te dédia, Vierge Marie, l’œuvre que Nicolas de Verdun fabriqua."
Nous apprenons ainsi que cet ouvrage, ordonné en l’honneur de la Vierge Marie par l’abbé Wernher, sixième prieur de couvent d’Augustins de Klosterneuburg, a été achevé en 1181 par Nicolas de Verdun.
Cet extraordinaire ouvrage se compose de cinquante et une plaques de cuivre dont les figures, aux contours très nets, se détachent sur un fond d’émail bleu. La technique de l’émail champlevé impose de creuser dans l’épaisseur du métal les espaces où doit être déposé un émail qui n’est qu’une poudre encore — reste, après la cuisson qui l’a vitrifié, à le polir et à recouvrir d’or le cuivre. En raison de son point de fusion élevé, l’émail champlevé est extrêmement résistant et l’ouvrage est demeuré intact depuis plus de huit siècles.
L’ensemble mesure 5m de long et 1m10 de haut. Il est divisé en trois parties et sur trois niveaux horizontaux illustrant les faits racontés dans la Bible. Les cinquante et un panneaux trilobés sont séparés par un motif de doubles colonnettes à chapiteau dérivé du corinthien. Chaque scène est nommée par une inscription latine en émail noir.
Les panneaux d’émail, appliqués sur un bâti en bois, étaient jadis fixés à l’ambon dont ils faisaient le tour. Ainsi s’explique le caractère didactique de cet ensemble, aussi rigoureusement ordonné qu’un portail de cathédrale gothique, sermon enregistré pour l’éternité sur des plaques d’émail incorruptible. Le retable de Verdun est l’illustration la plus complète de la théologie médiévale dont l’idée maîtresse est la concordance de l’Ancien et du Nouveau Testaments. Jésus-Christ lui-même dit à plusieurs reprises qu’il est venu accomplir les prophéties : "Ne croyez pas que je sois venu abolir la Loi et les Prophètes ; je ne suis pas venu abolir mais accomplir" (Matthieu 5, 17). La doctrine a été proclamée par les écrits de saint Augustin dans "La Cité de Dieu". Il distingue dans l’histoire du monde trois grandes périodes : "Ante legem", avant la loi de Moïse, c’est-à-dire depuis la Création jusqu’à la révélation de la Loi de Yahvé sur le Sinaï ; "Sub lege", l’ère de la loi mosaïque jusqu’à l’Incarnation du Messie ; et enfin "Sub gratia", le règne de la Grâce, à partir de la naissance du Rédempteur. Ces trois divisions servent d’armature au retable dont la lecture se fait colonne par colonne de façon typologique, c’est-à-dire que les trois scènes de chaque série verticale partagent un lien symbolique, les scènes de l’Ancien Testament préfigurant celles du Nouveau Testament.
Le Baptême du Christ, Nicolas de Verdun (1181)
Plaque en émail champlevé sur cuivre doré
Abbaye de Klosterneuburg, Autriche
Le Baptême du Christ est représenté sur l’une des cinquante et une plaques décrites ci-dessus.
On y voit trois personnages de même taille, répartis presque géométriquement, un à notre droite, et deux à gauche, se faisant face. On devine facilement quelle est la scène ainsi illustrée et l’inscription qui l’entoure le confirme.
Le corps nu du Christ est comme drapé dans les eaux du Jourdain. Une croix marque l’auréole derrière sa tête qu’il penche vers Jean dit le Baptiste pour recevoir l’eau baptismale que celui-ci verse avec une cruche. Au-dessus, au centre de l’image, descend la colombe du Saint Esprit. Les visages des deux cousins sont entourés par des cheveux longs et ondulés, représentés comme sur les icônes byzantines. Ils portent tous deux une barbe, celle de Jean est plus longue : il vit dans le désert. D’ailleurs la bordure de sa tunique évoque le poil de chameau dont l’évangéliste Marc rapporte qu’il était vêtu, "avec une ceinture de cuir autour des reins." Lui aussi porte une auréole, ainsi que le jeune homme imberbe qui se tient derrière lui, un linge posé sur le bras, sans doute le vêtement dont le Christ s’est défait. Peut-être est-il l’un de ces anges dont Marc rapporte (1,13) qu’ils ont été, au lendemain de ce baptême, au service du Christ pendant les quarante jours où il a été mis à l’épreuve dans le désert.
La palette de couleurs est réduite : l’or pour les personnages et le bleu de cobalt et ses nuances pour le fond et les accessoires. Ce choix renforce le dessin et met en valeur les personnages.
L’art de Nicolas de Verdun est novateur. Il apporte une recherche plastique en rendant la réalité des corps plus convaincante. Un des éléments distinctifs de son style dans cette œuvre est la manière spécifique dont il modèle les anatomies. Il représente avec un souci du détail les différentes parties de la musculature, pour le Christ par exemple, en utilisant un double trait.
Un deuxième élément caractéristique du style de Nicolas de Verdun est la représentation des drapés. Le tissu est abondant. Pour accentuer l’effet dynamique, un côté du corps de Jean est marqué par la tension du drapé de son manteau. Les plis accompagnent le mouvement tout en prenant la forme de "V" à l’entrejambe. Ils suivent donc des lignes tout à fait naturalistes à la manière antique, tout en adoptant des plis non conventionnels à la manière byzantine.
Byzantine aussi est la façon de rendre les traits du visage. La manière de dessiner les yeux, la bouche ou le menton reste la même. L’orbite oculaire est surmontée de deux traits : l’un plus foncé pour les sourcils et l’autre plus léger pour le pli palpébral (c’est-à-dire de la paupière). Au-dessous, un trait part du coin interne de l’œil pour dessiner un cerne.
Les nez sont droits et s’achèvent de manière très arrondie et l’artiste n’omet pas de marquer par un petit cercle le sillon naso-labial. Pour réaliser les bouches, il procède toujours de la même façon, comme on peut le voir sur les icônes byzantines : un trait plus foncé supérieur ondulé et un autre inférieur plus clair en forme de "W". Puis un demi-cercle arrondi vers le bas représente le menton.
Nicolas de Verdun mêle donc les influences antiques et byzantines dans son œuvre. Toutefois, on remarque les caractéristiques qui lui sont spécifiques dans la manière de constituer les visages et les corps, indépendamment d’un modèle, et des drapés vivants et souples. De plus, aucune des plus des deux cents figures représentées sur l’ambon-retable n’est identique à une autre. L’artiste a cherché à varier les traits du visage, les postures, les vêtements.
L’influence que Nicolas de Verdun a exercée durant un demi-siècle sur l’art du Nord de l’Europe a été considérable et les années 1200 ont été marquées par son style. Les artistes de cette période ont cherché une certaine originalité. Ils ont aspiré à une marque d’expression personnelle. L’apposition de leur signature sur leurs œuvres, comme celle de Nicolas de Verdun sur l’ambon, montre cette volonté de se démarquer.
II. Une peinture flamande du XVIème siècle
Le Baptême de Jésus, Joachim Patinier (années 1510-1515)
Kunsthistorisches Museum, Vienne (Autriche)
Huile sur bois de chêne. Ht 59,7cm x L 76,3 cm
Joachim Patinier, Patenier, ou Patinir, est un peintre et dessinateur flamand, né à Dinant (Belgique) ou à Bouvignes-sur-Meuse, petite localité proche de Dinant, dans les années 1480, et mort à Anvers en 1524.
Les faits avérés concernant sa vie sont forts limités. Peut-être s’est-il formé à Bruges auprès du peintre Gérard David. On sait cependant qu’il apparaît en 1515 comme franc-maître (titre honorifique qui reflète en Flandre le savoir-faire et l’expérience acquise par l’apprenti au sein de sa corporation) sur le registre de la corporation des peintres d’Anvers.
On sait aussi qu’il a travaillé en collaboration avec de grands peintres comme Quentin Metsys. Ce dernier devait être assez intime avec lui puisqu’à sa mort il a été désigné comme l’un des tuteurs de ses enfants. Lors de son voyage aux Pays-Bas en 1520, Albrecht Dürer s’est lié d’amitié avec Joachim Patinier et a réalisé son portrait.
Déjà célèbre de son vivant, il est considéré comme l’un des initiateurs du genre "paysage" dans la peinture occidentale. La plupart de ses œuvres s’inspirent cependant surtout de scènes issues de l’histoire chrétienne.
D’ailleurs, le tableau "Le Baptême de Jésus" en est un exemple. La signature de l’artiste apparaît sur le rocher à l’avant-plan : OPVS.IOACHIM.D.PATINIER.
La scène se situe en extérieur, dans une vaste nature sauvage et escarpée, dominée par les verts, les bleus, les gris et les blancs, bien éloignée du paysage de la Galilée où a vécu Jésus.
Deux épisodes narratifs se détachent clairement de ce cadre naturel : le baptême du Christ et la prédication de Jean-Baptiste. La composition du tableau est claire.
Au premier plan, s’imposant d’emblée au spectateur, se trouve le Christ en train d’être baptisé par Jean-Baptiste. La couleur pâle de sa carnation se détache nettement du fond du tableau. Jésus est debout, les mains jointes, vêtu d’un simple drap blanc noué à la taille, les jambes dans les eaux de la rivière qu’on devine être le Jourdain, tandis que Jean-Baptiste, légèrement en surplomb, se tient à genoux sur un promontoire rocheux, la main tendue, versant de l’eau sur la tête de Jésus.
Un grand manteau bleu a été déposé au pied d’un arbre chauve, mort. Jean-Baptiste, lui, porte son traditionnel habit en peau de bête.
Au second plan, à gauche, se situe le second épisode — mais le premier dans le temps —, la prédication de Jean-Baptiste devant les foules venues l’écouter. Le Christ, Jean-Baptiste et les néophytes sont placés sur une diagonale, les personnages les plus éloignés, plus petits, respectant la perspective. On devine des gens de conditions très diverses : riches bourgeois (avec leur chapeau ou leur turban), simples pèlerins ou pénitents (avec leur manteau à capuche) ; un bébé est niché contre sa mère, assise sur un tronc et représentée de trois-quarts dos ; il y a même des soldats (en armure, portant la lance). Le peintre a apporté là quelques touches de couleurs primaires très douces pour animer des costumes qui sont ceux de la Renaissance plus que de l’époque du Christ. En manteau bleu, près d’un buisson, un peu éloigné, un homme observe et écoute Jean-Baptiste qui semble le désigner de la main ("Et il proclamait : "Vient derrière moi celui qui est plus fort que moi, dont je ne suis pas digne de délier la courroie de ses sandales. Moi je vous ai baptisés avec de l’eau, mais lui vous baptisera avec l’Esprit Saint" (Mc 1, 7-8). D’ailleurs, les deux hommes qui portent un turban se tournent vers lui.
À l’orée de la forêt, à l’arrière-plan, marchant sur un fin lacet serpentant, d’autres gens arrivent encore.
Au second plan, à droite, légèrement en contrebas, le paysage est désert. Une masse rocheuse, à la découpe fantastique, se dresse au milieu d’un petit bois et atteint les cieux. Des pics escarpés, de tailles plus modestes, l’accompagnent à droite, sur lesquels on distingue une forteresse en ruines.
Dans une perspective atmosphérique, une rivière serpente de gauche à droite, suivie par le regard du spectateur jusqu’aux pieds du Christ, dans des nuances de bleu clair jusqu’au vert sombre, en passant par un bleu de cobalt et un vert turquoise.
Dans les cieux, perçant les nuages sombres, Dieu le Père apparaît dans un halo de lumière ; d’un geste de la main, il envoie la colombe en direction de son Fils.
Avec sa fine palette de couleurs, l’artiste a mis en place une composition par plans, dans laquelle nous pouvons lire l’Evangile de Marc 1,11 :
– à l’arrière-plan à gauche : "Jean-Baptiste proclamait un baptême de conversion" ; "et toute la Judée venait à lui" ;
– dans la diagonale à gauche : "[ Jean-Baptiste ] était vêtu de poil de chameau avec une ceinture de cuir" ;
– en bas au centre : "[Jésus] fut baptisé dans le Jourdain par Jean" ;
– dans la verticale : "Remontant de l’eau, il vit les cieux se déchirer et l’Esprit comme une colombe descendre vers lui ; et une voix vint des cieux : "Tu es mon Fils bien-aimé, tu as toute ma faveur."
Attirés par le Christ qui regarde droit devant lui, nous sommes appelés à pénétrer dans la composition pour être témoins de la scène du baptême, scène d’une grande solennité, intime et recueillie. Nous sommes à la fois impressionnés et silencieux, saisis par l’action qui est en train de se passer.
La mise en scène de l’autre épisode est très différente, plus anecdotique : l’artiste nous donne à voir une scène de foule où se retrouvent, attentifs, ses contemporains.
Respectant une tradition picturale ancrée chez ses aînés du XIIIème au XVIème siècles, Platinier a renversé la chronologie et mis le second épisode au premier plan. Avant de se disperser vers les multiples ramifications de la composition, l’œil se fixe sur la scène du baptême, d’autant plus aisément qu’elle est dépouillée et facile à lire. On y découvre la traduction du texte biblique : "Et au-dessus d’eux, fendant les cieux de sa lumière, Dieu le Père fait descendre sur son Fils le signe de l’Esprit Saint." Cette représentation trinitaire (Christ, colombe, Dieu) est classique mais accroche le regard par le positionnement sur son axe vertical central et par le choix des couleurs sur une palette sombre de vert et de bleu, le corps dénudé du Christ et la blancheur de la colombe se détachent parfaitement.
Dans un second temps, l’œil du spectateur se déplace sur la gauche, vers la scène de la prédication : nous sommes invités à écouter le message qui se trouve dans les versets précédents de l’Evangile de Marc, qui consacre d’ailleurs plus de versets à la prédication qu’au baptême. Une foule suit Jean-Baptiste et l’écoute. Et un œil exercé remarque l’homme isolé près d’un buisson et le reconnaît. Il porte un manteau de la couleur de celui abandonné au pied de l’arbre au premier plan.
On peut ainsi penser que le Christ est déjà présent dans l’épisode de la prédication, déjà présent dans les temps de l’annonce de sa venue, mais encore invisible aux yeux des hommes.
Patinier introduit donc l’idée que le Christ est présent sur le chemin des hommes, avant et après le baptême, presque invisible, pour les guider sur les chemins tortueux de la vie.
Servant le message d’Isaïe cité par Marc ("Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers") , la perspective aérienne est schématisée par la succession de trois plans colorés : sombres et froids au premier plan, verts et blancs lumineux au second plan, et des perspectives lointaines bleutées. Ces étagements fuient vers un horizon relevé, placé très haut dans le ciel. Le paysage de Patinier n’est pas un paysage au sens moderne du terme, c’est-à-dire qu’il ne représente pas un paysage réel mais recomposé qui incite à la contemplation et à la méditation.
Le message est double : à la fois religieux (le paysage est une réflexion sur la beauté de la Création divine, à une époque où le message franciscain a montré que l’amour de la nature ne détourne pas de Dieu mais qu’on peut au contraire aller vers lui à travers sa Création), et à la fois humaniste (une réflexion sur l’étendue et la diversité des paysages à une époque où l’on se passionne pour la découverte des terres lointaines).
Le paysage de Patinier n’est pas tortueux et accidenté par hasard. Il est un assemblage d’images et d’idées : il symbolise le chemin spirituel que tout homme doit suivre pour méditer la Parole et atteindre le Salut. La masse rocheuse au centre du tableau n’est pas sans évoquer le Golgotha, symbole absolu de l’épreuve, et la sorte de niche creusée au pied des rochers évoque le tombeau où le Christ sera enseveli. Ce tombeau est représenté ouvert, donc tourné vers la Résurrection.
Et l’arbre mort à gauche de la peinture, séparant Jean-Baptiste du reste de la foule, n’est-il pas là pour nous faire entrevoir que celui qui annonce vient inaugurer un monde nouveau ?
Après avoir observé et contemplé ces deux œuvres illustrant le baptême du Christ et menant à la méditation, nous devons nous demander ce que signifie ce baptême. Jésus n’a pas besoin du baptême de Jean qui était signe de repentir lui qui est sans péché, ni d’un don de l’Esprit, puisqu’il est le Fils de Dieu depuis toujours et possède donc l’Esprit en plénitude. Mais, par ce signe, Jésus s’est solidarisé avec nous dans l’Esprit pour que nous soyons "un" avec lui dans son humanité ressuscitée.
Les quatre évangélistes rapportent que Jésus a commencé sa vie publique en recevant le baptême de Jean-Baptiste. Leurs récits, compris et écrits à la lumière de sa Résurrection, confirment leur témoignage de foi et montrent la nouveauté du baptême de Jésus. Jean-Baptiste donnait un baptême d’eau caractérisé par le jugement et la purification en signe de "repentir pour la rémission des péchés" (Luc 3,3), c’est-à-dire pour surmonter la division entre les hommes et Dieu et changer de vie. Cette division n’existe pas en Jésus. Il n’a pas besoin de conversion pour entrer dans une vie nouvelle. Pourtant il se mêle aux pécheurs par solidarité ; il est baptisé avec eux. Mais l’eau ne signifie pas seulement la purification. Dans les annonces de l’Ancien Testament, elle est liée à la Pâque, au passage par la mort à la vie : la libération des Hébreux est passage de la Mer Rouge (Exode 14), la traversée du Jourdain est la fin du temps du désert et l’entrée dans la Terre promise (Deutéronome 11, 31). Le baptême de Jésus fait alors sens : il préfigure l’heure de La Croix où, par amour pour nous et dans la confiance en son Père, Jésus traversera les eaux de la mort et le péché (la séparation avec Dieu) pour nous faire vivre de sa vie divine et de son Esprit.