Le temps de l’Avent 2020 en images
Pendant chaque semaine de l’Avent, partons à la découverte d’un épisode de cette période, à travers les images commentées.
A. LE RECENSEMENT
Il s’agit ici d’une mosaïque de l’église Saint-Sauveur-in-Chora (aujourd’hui musée) à Istanbul. Pillée et ravagée durant les périodes sombres de Byzance, l’église a été reconstruite au début du XIVème siècle par Théodore Métochite qui la dota de somptueuses mosaïques.
La mosaïque est un art décoratif dans lequel on utilise des fragments de pierres colorées appelés tesselles, assemblées pour former un dessin et destinées dans un premier temps à être posées en pavements. La mosaïque dite byzantine est faite de pâte de verre et d’or (feuille d’or enfermée entre deux couches de verre) taillée en tesselles d’ 1cm de section environ. Dédiées peu à peu à la représentation religieuse (et à la représentation du pouvoir), les mosaïques passent à la position verticale pour orner les murs et des surfaces voûtées. Les tesselles sont alors légèrement inclinées par rapport au plan de pose et les différentes inclinaisons créent, lorsqu’on les regarde "en vrai", une sensation de vibration de la surface.
La mosaïque représentée ici est située dans l’exonarthex de l’église Saint-Sauveur. Elle illustre trois moments d’un épisode bien connu raconté dans la Bible : le songe de Joseph, le départ pour Béthléem et le recensement.
Les représentations de cet épisode sont très rares dans l’histoire de l’art (Pieter Brueghel l’Ancien peignit en 1566 Le Dénombrement : le couple formé par Marie et Joseph passe presque inaperçu au milieu d’une foule de personnages qui s’adonnent à leurs activités quotidiennes. C’est le mystère de l’incarnation : le fils de Dieu est devenu l’un de nous, un homme parmi les hommes).
Les coloris choisis et le style font immédiatement penser aux icônes byzantines.
1. Le songe de Joseph
Joseph est allongé, enveloppé dans son manteau. Son avant-bras droit relevé soutient sa tête, auréolée, penchée sur son épaule. La jambe droite, dont le pied nu sort du manteau, est posée sur sa cheville gauche. Voici que l’Ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : "Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ta femme car ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint ; elle enfantera un fils, et tu l’appelleras du nom de Jésus car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés." (Matthieu 1, 20-22). On sait que, dans la Bible, les songes visent à préciser les projets de Dieu. D’ailleurs, au-dessus de la tête de Joseph, vole vers lui un ange, les ailes déployées. C’est sans aucun doute un archange car il porte dans sa main gauche le bâton de messager. Il vient annoncer à Joseph la prochaine naissance de Jésus. À l’arrière-plan, deux femmes se parlent devant la porte d’une ville à la végétation typiquement méditerranéenne : quatre cyprès se dressent entre les maisons. Ce sont Marie, dont le nom est indiqué au-dessus du nimbe, et sa cousine Elisabeth. Il s’agit d’une scène antérieure à la scène centrale : la Visitation. |
2. Le départ pour Béthléem
Le sujet de la scène est sans ambiguïté : le texte tracé au-dessus cite précisément l’Evangile selon Saint Luc 2, 1-5. Or, en ce temps-là, parut un décret de César Auguste ordonnant le recensement de tout le monde habité. Ce premier recensement eut lieu pendant que Quirinius était gouverneur de Syrie. Et tous allaient se faire recenser, chacun dans sa ville. Joseph aussi monta de Galilée, de la ville de Nazareth, en Judée, à la ville de David, qui s’appelle Béthléem, - parce qu’il était de la maison et de la lignée de David - afin de se faire recenser avec Marie, sa fiancée, qui était enceinte. Le paysage est désertique. Devant une montagne cheminent Joseph et Marie. Représenté de profil, Joseph marche, enveloppé dans son manteau ocre jaune dont les plis sont marqués par un beau camaïeu. Sa tête est auréolée. Il regarde Marie devant lui. Une anfractuosité du rocher, à l’arrière, crée une sorte de lien entre les deux époux. Marie est assise sur une fière mule aux grandes oreilles dressées. Noter le très subtil camaïeu de gris de sa robe pommelée. La marche en avant est signifiée par le mouvement de la patte avant droite. La Vierge est représentée de 3/4, le visage et les yeux tournés vers Joseph. Elle est enveloppée dans son traditionnel manteau bleu (le "maphorion"), les bras serrés sur son ventre. Elle est enceinte. Devant eux marche un homme jeune. Il est brun alors que Joseph a les cheveux gris. Il porte sur l’épaule droite deux baluchons attachés à un bâton. Il faut observer le grand soin apporté par l’artiste au détail de cette représentation. Qui est cet homme ? Sans doute un parent ou un proche (les évangiles apocryphes mentionnent l’existence de fils de Joseph) : son vêtement n’est pas celui d’un serviteur. Tous trois se rendent à Béthléem pour se faire recenser. |
3. Le recensement
La mosaïque suivante illustre la scène du recensement. Cette représentation est unique dans l’art byzantin.
À gauche, un soldat lourdement armé (lance, épée et bouclier rond) protège l’homme assis près de lui. Les éléments de son costume sont si détaillés qu’ils permettent de connaître précisément comment étaient vêtus les soldats romains de l’époque de Jésus. Assis sur un large coussin posé sur un trône à baldaquin, le gouverneur Quirinius (ou Cyrinius), coiffé d’une couronne ornée de plumes, est vêtu d’une longue tunique bleue serrée aux poignets. Remarquer l’agencement des plis et les bandes ornementales dorées. Par-dessus, son manteau vermillon est retenu sur l’épaule droite par une fibule (broche). Il tient dans la main droite un rouleau et, de la gauche, il désigne un scribe, accompagné d’un soldat, qui inscrit des noms sur un parchemin. Tous ces hommes portent la barbe. La mode vient de l’empereur lui-même. |
Devant eux, debout, représentés de 3/4, Marie et Joseph font face au gouverneur, séparés physiquement de lui, et presque opposés à lui, par le mouvement inverse, la simplicité du couple et les deux personnages qui représentent l’administration et la puissance romaine. Derrière le couple s’attroupe la foule des gens venus s’inscrire pour le recensement. Les nuances des couleurs, les tesselles dorées, les attitudes des personnages, les regards, les détails des vêtements et des objets, l’ondulation des cheveux, la présence de l’arbre en partie dépouillé de ses feuilles (c’est l’hiver)... Tous ces éléments font de cette mosaïque l’une des plus belles du musée de Kariye. |
B. L’ANNONCE AUX BERGERS
L’annonce aux bergers est un épisode de la Nativité de Jésus dans lequel un ange annonce à un groupe de bergers la naissance du Messie, épisode raconté dans l’Evangile selon Saint Luc 2, 8-14.
Dans cette même région, il y avait des bergers qui vivaient aux champs et gardaient leurs troupeaux pendant la nuit.
Un ange du Seigneur se présenta devant eux, la gloire du Seigneur les enveloppa de lumière et ils furent saisis d’une grande crainte. L’ange leur dit : "Soyez sans crainte, car voici, je viens vous annoncer une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple : Il vous est né aujourd’hui, dans la ville de David, un Sauveur qui est le Christ Seigneur ; et voici le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire." Tout à coup il y eut avec l’ange l’armée céleste en masse qui chantait les louanges de Dieu et disait : "Gloire à Dieu au plus haut des cieux et sur la terre paix pour ses bien-aimés."
La présence des bergers est importante et annonce une facette centrale du message de l’Evangile. Les bergers n’avaient pas bonne réputation à l’époque. Relégués au bas de l’échelle sociale, ils vivaient en contact quotidien avec des animaux, ce qui les mettait en continuel état d’impureté rituelle. Ils étaient donc empêchés de participer aux rites prescrits par la loi de Moïse. Or Luc en fait les premiers témoins de la naissance de Jésus, manifestant ainsi la priorité que celui-ci donnera aux démunis, aux exclus et aux pécheurs.
Loin d’être seulement un aimable conte, la scène nous est donnée comme fondamentale pour notre foi, car elle nous réfère aux témoins sur lesquels repose premièrement la transmission de l’événement historique rapporté dans les versets de l’Evangile selon Saint Luc : ce mystère de gloire et d’humilité est celui du Christ, mais aussi de sa transmission par l’Eglise.
Pour illustrer cet épisode de l’Evangile, il est intéressant de mettre en parallèle deux œuvres contemporaines : une gravure de Rembrandt et une peinture de Govaert Flinck.
1. L’Annonciation aux bergers, de Rembrandt Hamerszoon Van Rijn (plus connu sous son seul prénom : Rembrandt).
Gravure à l’eau-forte, au burin et à la pointe sèche sur papier vergé (1634), conservée à la BNF. Épreuve de 3ème état. H. 26,1cm ; L. 21,8cm.
Le sujet s’inspire du texte de Saint Luc : les bergers qui montent la garde de nuit près de leur troupeau sont saisis de crainte à l’apparition de l’ange qui leur annonce la naissance du Sauveur, dans une vive lueur, et bientôt escorté d’une ronde d’anges qui louent Dieu.
La technique utilisée par Rembrandt est celle de la gravure à l’eau-forte. C’est un procédé de gravure en taille-douce (c’est-à-dire en creux) sur une plaque métallique, à l’aide d’un mordant chimique (un acide). Peu à peu, le mot "eau-forte" finit par désigner à la fois le procédé, la gravure sur métal et l’estampe obtenue par cette gravure.
Le principe est simple : sur la plaque de métal, généralement du cuivre, préalablement recouverte d’un vernis à graver, l’artiste dessine son motif à la pointe métallique. La plaque est ensuite placée dans un bain d’acide qui "mord" les zones à découvert et laisse intactes les parties protégées. Après nettoyage du vernis, la plaque est encrée et mise sous presse. La plaque peut également être retravaillée au burin ou à la pointe sèche, mêlant ainsi plusieurs techniques, ce qui est ici le cas pour cette estampe de Rembrandt.
L’étude comparée des différents états de la gravure a permis de suivre la progression du graveur dans sa composition.
Au premier état, tous les éléments de la composition sont dessinés légèrement et la frange centrale qui sépare la gloire des bergers, est très travaillée. Au deuxième état, la plaque est presque totalement achevée. En ce troisième et ultime état, l’artiste obscurcit les hautes branches de l’arbre mort, la figure que l’on aperçoit au-dessous, les deux vaches qui courent à droite et les ailes de l’ange, afin d’ intensifier l’éclat de la gloire et pour que la relation entre celle-ci et les bergers soit plus directe.
Rembrandt a situé le passage biblique dans un cadre nocturne impressionnant. Il a fait le choix d’une dimension surnaturelle donnée à la forêt qui se fond dans la nuit totale. Au ciel, luit, fulgurante, une gloire nimbant une multitude d’angelots ainsi qu’un ange dont l’apparition affole les bergers et leurs troupeaux, qui s’enfuient. La petite échelle à laquelle sont représentés hommes et animaux par rapport à la nature rend cette composition grandiose. La scène se passe dans une clairière, au bord d’une rivière que traverse un pont à deux arches ; sur l’autre rive, en haut d’une montagne, on devine une forteresse qui resplendit, illuminée par le halo qui nimbe l’ange. Celui-ci lève une main en un geste de harangue tandis que l’autre s’abaisse en signe d’apaisement. Au-dessus de lui voltigent les angelots parmi les rayons qui émanent de l’Esprit Saint. Sur terre, les croupes des animaux semblent onduler tandis qu’ils courent en tous sens.
L’aquafortiste a beaucoup travaillé la plaque pour obtenir ces effets dramatiques de clair-obscur, qui vont du blanc étincelant de la gloire au noir absolu du sous-bois. Il a commencé par graver à l’eau-forte sa composition, se servant de la pointe sur le vernis comme s’il dessinait une esquisse rapide sur papier avec un crayon, quitte à être moins précis. Ensuite, grâce à un lacis de tailles et de contre-tailles très fines et très serrées afin de bien retenir l’encre, il a travaillé les zones de la partie centrale qu’il voulait plus obscures. Ayant obtenu l’effet souhaité grâce à la morsure de l’acide sur la plaque, il a gravé les différentes nuances de clair-obscur avec des incisions au burin, plus ou moins fines, qu’il a rehaussées à la pointe sèche en quelques endroits.
Le plus remarquable dans cette estampe est la lumière projetée par la gloire. Rembrandt en a étudié l’effet sur chaque animal, chaque plante, chaque personnage. L’affolement des animaux se traduit par une explosion de mouvements. Il en résulte une image spectaculaire, aux effets totalement picturaux, qu’il aurait pu adapter à une peinture de grandes dimensions, comme il l’a fait à partir d’autres sujets.
2. Les Anges annonçant aux bergers la naissance du Christ, de Govaert Flinck.
Huile sur toile (1639), conservée au Musée du Louvre. H. 1,60m ; L. 1,96m
Un bel ange blanc, entouré d’une nuée de petits angelots, descend du ciel pour annoncer la naissance du Christ aux bergers. L’apparition surnaturelle baigne la scène d’une chaude lumière. Le messager céleste semble à peine bouleverser cette douce quiétude nocturne. Si quelques hommes se mettent respectueusement à prier, d’autres ne sont même pas sortis de leur sommeil. Les bêtes du petit troupeau, un instant dérangées par le mouvement d’une vache, cherchent à nouveau à se blottir chaudement les unes contre les autres.
Le jeune Govaert Flinck (il n’a alors que 24 ans) peint ce tableau alors qu’il a quitté l’atelier de Rembrandt, dont il était l’élève, depuis seulement trois ans. Il a assimilé cette lumière dorée si caractéristique qui correspond parfaitement au sujet. Pour cette composition, il s’inspire de la gravure de même sujet exécutée par son maître en 1634. Il lui emprunte le fantastique de l’apparition et la vache à l’échine creusée. D’autres motifs, comme le berger en prière sur la droite ou la ronde des putti, sont repris quasi littéralement d’autres œuvres de Rembrandt, non sans une certaine finesse.
Cependant, malgré ces similitudes, il faut se garder de ne voir en ce tableau qu’un simple pastiche de Rembrandt. En effet, Flinck y introduit des détails plus personnels, comme le palmier orientalisant. N’oublions pas que cet épisode se déroule près de Béthléem, en Judée. Et surtout, la composition montre un changement fondamental : le passage significatif du format vertical, grandiose et théâtral chez Rembrandt, à l’horizontalité apaisante de Govaert Flinck. La figure de l’ange s’incline doucement vers les bergers qui accueillent le messager par une calme prière alors que, dans la gravure, certains s’enfuyaient, pris de terreur.
Ainsi, le peintre rapproche le divin de l’humain, contrairement à Rembrandt qui soulignait le mystère de l’apparition par des effets dramatiques poussés. Et c’est ici une humanité beaucoup plus sereine, dépeinte dans son quotidien : ainsi le groupe de la petite vieille et du dormeur forme-t-il une véritable scène de genre au milieu de l’histoire biblique. Cet apaisement de l’emphase de Rembrandt est caractéristique des élèves du maître. L’œuvre de Flinck reste tout aussi religieuse, mais son esprit plus rassurant montre combien l’élève a su se démarquer du maître.
C. L’ANNONCE AUX MAGES
L’annonce aux mages est un autre épisode de la Nativité du Christ raconté brièvement et de façon elliptique, seulement dans l’Evangile selon Saint Matthieu, 2, 1-2.
Jésus étant né à Béthléem de Judée, au temps du roi Hérode, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem et demandèrent : "Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu en effet son astre à l’orient et sommes venus lui rendre hommage.
(...) Sur ces paroles du roi ils se mirent en route ; et voici que l’astre, qu’ ils avaient vu à l’orient, avançant devant eux jusqu’à ce qu’il vînt s’arrêter au-dessus de l’endroit où était l’enfant." (Matthieu, 2, 9).
Pendant près de deux millénaires, les artistes (Benozzo Gozzoli, à la Chapelle des Mages de Florence, Le Tintoret, à la Scuola si San Rocco de Venise...) ont illustré cette histoire légendaire des Rois mages et l’ont ancrée dans la mémoire de nos imaginaires et de nos cœurs.
L’évangéliste ne donne pas beaucoup de détails sur le statut exact de ces personnages, ni même sur leur nombre ou leurs noms. Ces mages, nous dit-on, ne sont pas des rois mais des savants, consulteurs des astres. Pourtant, si nous lisons les écrits prophétiques d’Isaïe au chapitre 60 et les psaumes (en particulier le psaume 72), nous apprenons que des rois viendront, de Tharsis et des îles, de Cheba et de Seba, apporter au Roi des rois leurs trésors. C’est depuis les Vème et VIème siècles que s’installe la tradition des trois rois dans l’Eglise latine. Ce chiffre concorde naturellement avec les trois présents évoqués dans l’Evangile (l’or de la royauté, l’encens de la divinité et la myrrhe des mortels). C’est à la même époque que les noms des mages sont donnés pour la 1ère fois dans un manuscrit. Balthazar, Melchior et Gaspard seront largement popularisés à l’époque médiévale grâce à La Légende dorée de Jacques de Voragine. L’iconographie populaire les incarna le plus souvent sous les attributs royaux et le terme de "rois mages" s’est durablement installé dans la culture populaire.
La Rencontre des mages.
Enluminure des Très Riches Heures du duc de Berry, des frères Limbourg ( aux environs de 1413). Conservée au Musée Condé de Chantilly.
Jean de France, duc de Berry, est le troisième fils du roi de France Jean II le Bon. Grand collectionneur et mécène avisé, il commande aux trois frères néerlandais (Paul, Jean et Hermann) qui passaient pour les meilleurs enlumineurs de leur temps, deux somptueux livres de prières, les Très Riches Heures (resté inachevé) et les Belles Heures.
Les "livres d’heures" sont des recueils de prières à l’usage des laïcs. Ouvrages de piété les plus répandus à la fin du Moyen-Age, ils étaient considérés comme un moyen d’établir une relation plus immédiate avec Dieu et avec la Vierge, objet d’un des cultes les plus populaires à l’époque. Les frères Limbourg s’inscrivent dans le courant artistique qui s’est diffusé en Europe à partir de la fin du XIVème siècle.
L’ouvrage contient 206 feuillets d’un format de 21cm de largeur sur 19cm de hauteur, répartis en 31 cahiers reliés. Les feuillets sont fabriqués à partir d’une feuille de vélin très fin pliée en deux, formant deux feuillets de quatre pages.
Une "enluminure" est une peinture qui "illumine", éclaire un manuscrit. Après le choix du parchemin ou du vélin, l’enlumineur procède au broyage des couleurs (pigments et liants, essentiellement la gomme arabique) puis il esquisse le dessin qui sera réalisé à l’encre. Le dessin achevé, il place les feuilles d’or qui ajoute à la lumière et ensuite il pose les couleurs.
Originellement, les initiales et les titres des manuscrits étaient peint en rouge à l’oxyde de plomb, le minium. D’où le mot "miniature".
L’œuvre des Limbourg est née à une époque troublée (révoltes des paysans, lutte de la bourgeoisie des villes contre la chevalerie, guerre de Cent ans...). Et cependant cette époque a vu naître l’âge d’or d’un raffinement sans égal. Le format relativement grand des Très Riches Heures augmente la beauté de ses prestigieuses images.
La Rencontre des Mages
Scène étonnante, dont la composition révèle toutes les ressources de l’imagination des frères Limbourg. Vers le point de ralliement, au cœur d’un paysage enchanteur, sous le ciel d’azur et l’étoile mystérieuse apparue aux observateurs du cosmos, les trois Rois Mages se rejoignent. Ils viennent non seulement de l’Orient, mais de tous les points du monde connu en ce XVème siècle. Où qu’ils eussent été, l’étoile leur est apparue à tous au même instant. Elle brille d’or au sommet de l’enluminure. Par elle et par eux, c’est à l’univers entier que Dieu fait signe. Les voici donc tous trois : trois parties du monde, trois âges de la vie.
Les trois cortèges, surgissant de trois point différents, s’avancent majestueusement. Dans la peinture de ces cortèges, le souci de couleur locale et d’orientalisme est évident. On remarque les turbans et toute une variété de coiffures, les caparaçons richement ornés des chevaux, les sabres recourbés, la présence d’animaux sauvages (ours, lion, guépards)... Oriflammes (du XVème siècle) claquant au vent, vêtements bleus, roses, jaune d’or rivalisent de splendeur. La terre entière s’est donné rendez-vous en ce lieu pour aller, à la belle étoile, adorer l’Enfant-Dieu. Melchior, le plus près de nous et le plus âgé des trois, porte un vêtement impérial, celui-là même de l’empereur Manuel II de Constantinople, qu’a évoqué Benoît XVI à Ratisbonne. Il chevauche avec dignité un fougueux coursier blanc. En face de lui, venant de la gauche, le roi entre deux âges a tout l’air d’un sultan malgré sa couronne. À droite, visage imberbe, le plus jeune donc, le troisième roi, à la tête de son escorte africaine, chevauche un coursier isabelle.
La finesse des touches anime chaque détail, depuis les roseaux du marais jusqu’au chien et aux animaux sauvages. La profusion de ces éléments narratifs produit un effet de réalité tout en créant de la poésie. On ne peut qu’admirer l’art consommé avec lequel le peintre a centré sa composition. En effet, les trois cortèges se rencontrent au milieu du tableau, près d’un de ces monuments appelés Montjoie qui jalonnaient la route de Paris à Saint-Denis. Montjoie, cri de ralliement des soldats chrétiens allant au combat.
Mais, à la place de Jérusalem, la Ville Sainte entre toutes, on découvre Paris. Sur la colline, en arrière-plan, on reconnaît l’ancienne abbaye de Montmartre avec, en-dessous, la tour de Montléry, dont il reste encore des vestiges ; à côté, la cathédrale Notre-Dame, et, tout à gauche, la flèche de la Sainte-Chapelle.
Après s’être ainsi rencontrés, on sait que, guidés par l’étoile, les mages ont trouvé l’Enfant-Jésus à Bethléem, qu’ils l’ont adoré et lui ont offert les trésors qu’ils avaient apportés. Ainsi, la venue des mages s’ajoute à celle des bergers, réunissant l’humanité entière, de tous les horizons et à travers toutes les conditions.