La Visitation de la Vierge Marie à sa cousine Elisabeth 2021

Pendant le temps de l’Avent, temps de recueillement et de préparation à la naissance du Christ, avec le groupe Fra Angelico, contemplons la Vierge Marie et redécouvrons la mission de l’Eglise en méditant sur ce mystère joyeux qu’est la Visitation.

L’histoire est racontée par Luc (1, 39-56) dans les Évangiles canoniques ainsi que dans le Protévangile de Jacques, un apocryphe. Elle évoque la visite que fait Marie, quelques jours après l’Annonciation, à sa cousine Elisabeth, elle-même enceinte du futur Jean-Baptiste malgré son grand âge et en vertu d’une grâce divine.

Il y a de nombreux sujets d’étonnement dans le récit de la rencontre entre ces deux femmes, deux femmes qui sont enceintes contre toute attente. À l’instant même où la jeune fille se met en route pour visiter sa parente, il y a déjà de l’extraordinaire. Dieu est à l’œuvre dans leur existence.

L’ange Gabriel vient tout juste d’annoncer à Marie sa grossesse et pourtant, lorsqu’elle arrive, lorsqu’elle lui adresse sa salutation, Elisabeth sait immédiatement discerner que sa jeune cousine porte un enfant. Son enfant à elle vient de tressaillir dans son ventre. Pour une femme enceinte de six mois, les mouvements de l’enfant sont signes de vie, ils rassurent. Pourtant, Elisabeth ne s’y trompe pas, elle perçoit dans ce sursaut une autre dimension.

On ne peut que s’interroger. Comment sait-elle déjà que la jeune fille est enceinte ? Car la grossesse de Marie n’a que quelques jours. Mais alors qu’elle devine, on s’attendrait de sa part à une autre réaction. Selon la loi de son époque, Elisabeth aurait dû rejeter sa cousine, mais elle fait l’inverse, elle l’accueille. Mieux, elle la bénit, elle bénit l’enfant. Elle va jusqu’à annoncer que cet enfant-là va changer le monde : "Bénie es-tu entre les femmes, et béni le fruit de ton sein ! Et comment m’est-il donné que vienne à moi la mère de mon Seigneur ?"

Depuis un certain temps, l’Esprit de Dieu plane, il est présent avec Jean-Baptiste dès sa conception. Il couvre Marie. Maintenant il emplit Elisabeth, lui offrant cette possibilité d’interpréter les événements en découvrant le divin dans son existence, en percevant la trace de Dieu. Et elle permet à Marie de répondre ce qui deviendra le Magnificat, prière de l’Eglise : "Mon âme exalte le Seigneur, et mon esprit tressaille de joie en Dieu mon Sauveur."

On devine qu’Elisabeth a perçu que Marie est la Nouvelle Arche, le lieu de la présence du Seigneur. Marie annonce la Bonne Nouvelle.

Et l’Eglise nous invite à célébrer la fête de la Visitation qui commémore la sainte rencontre de deux enfants à naître et le Magnificat de Marie. Fête mariale chrétienne observée par les catholiques et les orthodoxes, et célébrée le 31 mai dans l’ensemble de la chrétienté occidentale et le 30 mars par les orthodoxes. Le luthéranisme l’avait conservée avant de la retirer. Cette fête était autrefois célébrée le 2 juillet, conformément à l’Evangile de Luc qui rapporte que Marie serait restée chez Elisabeth jusqu’à la naissance de Jean le Baptiste (et en supposant qu’elle y soit restée les huit jours supplémentaires correspondant aux rites de l’imposition du nom).

La représentation de cet épisode personnel et presque intime de la vie de Marie est fréquente à toutes les époques et sur tous les supports, que ce soit des chapiteaux sculptés, des fresques, des vitraux, des enluminures...

Dans une société médiévale que Jacques Le Goff définissait comme une civilisation du geste, la représentation de la Visitation est particulièrement parlante. Elle est d’abord la représentation d’un geste, l’embrassade (voir le tableau du Carpaccio, 1504-1506), assorti du geste d’Elisabeth qui touche le ventre de Marie (voir l’ huile sur bois de Rogier van der Weyden, 1445). L’embrassade, qui se dit en grec d’un mot qui désigne aussi une forme particulière de dévotion aux icônes, "aspasmos" (ασπασμός), a en plus une signification puissamment symbolique : en reconnaissant Marie comme mère de Dieu, Elisabeth, la femme du prêtre Zacharie, décide du même coup de la reconnaissance de la Nouvelle Alliance par l’Ancienne, ou encore du christianisme par le judaïsme.

C’est une scène dont d’ailleurs les hommes sont absents, à quelques exceptions près pour Zacharie et plus rares encore pour Joseph (voir le tableau de Jan Lievens l’Ancien, XVIIème siècle).

Le décor résume souvent l’épisode : un chemin signale le déplacement, le chemin parcouru par Marie, maisons et portes délimitant l’espace de la visite (voir la peinture de Sebastian del Piombo, 1518-1519). Lorsque les deux maisons sont représentées, la porte de celle de Marie est fermée, symbole de sa conception virginale et rappel de la prophétie d’Ezéchiel devant le porche du sanctuaire où Yahvé l’avait conduit : "Ce porche sera fermé. On ne l’ouvrira pas, on n’y passera pas, car Yahvé, le Dieu d’Israël, y est passé." Parfois figure une montagne, lieu traditionnel de la Révélation (voir la peinture anonyme de la Collégiale Ste Marie de Xativa, XVIème siècle).

Le plus surprenant dans l’ensemble de ces images, c’est la représentation de modèles réduits d’enfants (de fœtus, si l’on ne craint pas l’anachronisme), qui apparaissent en transparence ou sertis dans des mandorles à l’endroit précis du ventre maternel (voir la mozaïque byzantine et le tableau de la Ste Maria Gravida, Allemagne, 1460).
S’agit-il de montrer l’image de l’Incarnation miraculeuse et, en quelque sorte, dans l’œuf ?

La culture de l’image n’est pas, on le voit bien, l’apanage de notre époque. Pour citer Françoise Breynaert (Docteur en théologie et oblate séculière de la fraternité Notre-Dame du Désert), au temps où les voyageurs descendaient de cheval pour entrer dans une église et "voir Dieu en passant", la rencontre dans le fond d’une chapelle ou d’une cathédrale de cette simple scène de joie incommensurable qu’est la Visitation, la joie partagée de devoir enfanter un prophète et Dieu lui-même, cette image de la vie prénatale du Christ devait étancher pour un temps cette inextinguible soif de "voir Dieu" qui caractérisait les contemporains, et Dieu à l’œuvre, si ce n’est Dieu en majesté. Souhaitons que nous-mêmes soyons pris de cette inextinguible soif.

I. LA VISITATION, UNE ENLUMINURE

I. La Visitation, Livre d’heures de Jean de Boucicaut. Début du XVème siècle.
Musée Jacquemart-André, Paris

Artiste anonyme, le Maître de Boucicaut, ou Maître des Heures de Boucicaut, est un des plus grands enlumineurs parisiens du début du XVème siècle, époque privilégiée où se rassemblaient autour de la cour des Valois des artistes venus de toute l’Europe occidentale à Paris. Les Heures de Jean de Boucicaut sont la marque d’une production abondante et soignée, témoignant d’une réputation indéniable.

Français, sans doute d’origine flamande, il est formé dans l’entourage de Jacquemart de Hesdin, mais subit certainement l’influence italienne visible dans certaines enluminures. Il travaille pour les membres de la famille royale et la cour de Charles VI, mais sans établir de liens permanents avec ses commanditaires. Il doit son nom aux Heures peintes entre 1405 et 1410 pour Jean II Le Meingre, maréchal de Boucicaut.

Le manuscrit comprend 242 feuillets de 27,4cm sur 19cm, avec 44 miniatures ou enluminures sur parchemin. Madame Jacquemart-André achète le manuscrit en 1900. Il se trouve donc aujourd’hui au Musée Jacquemart-André, à Paris. La Visitation se situe dans le petit office de la Vierge, pour les laudes et les vêpres.

La scène est fermée dans un cadre qui est lui-même entouré d’une riche ornementation de volutes parsemées de fleurs et de feuillage.

Au centre de l’image, se tiennent deux femmes. On reconnaît à droite Elisabeth, vêtue d’une robe bleue et d’un manteau rouge qui marque le contraste entre ces deux couleurs primaires et les exalte l’une l’autre. Un voile blanc recouvre sa tête, son menton et son cou, comme il est d’usage chez les femmes d’un âge avancé. Légèrement inclinée dans une attitude de salutation, elle porte ses mains en avant, la droite sur l’épaule de Marie et la gauche sur le ventre de celle-ci, signe qu’elle sait que la jeune fille est enceinte. En face d’elle, Marie, aux traits délicats, la tête inclinée, salue sa cousine et, de sa main droite, retient son somptueux manteau bleu lapis, brodé d’or, autour de son ventre arrondi. Nous pouvons remarquer le jeu des mains au centre de l’image.
Le peintre a exagéré l’embonpoint du ventre de Marie (enceinte depuis quelques jours seulement, sa grossesse ne peut pas encore être visible) : elle porte en elle l’Enfant Jésus, le Seigneur.

Derrière elle, deux angelots tiennent, l’un le pan du manteau de Marie, l’autre un livre, sans doute les saintes Écritures. Manière de symboliser l’accomplissement des Écritures.

L’espace dans lequel se trouvent les deux femmes est circonscrit dans un cercle d’arbres de très petite taille, disproportionnés par rapport aux personnages, et dont la présence étonne dans ce paysage rocailleux : les arbres demeurent signes (de vie) et non figures ; ils peuvent donc être plus petits que les personnages qui habitent le lieu.

Nulle trace de maison. Ain Karim, la ville natale de Zacharie et d’Elisabeth, et le lieu de la Visitation, n’est pas représentée. Mais à l’arrière-plan, au-delà d’une rivière où glisse un cygne, symbole de pureté, se dressent les bâtiments d’une grande ville, sans doute Jérusalem, dont les abords sont occupés par deux scènes champêtres : à gauche, un paysan cultive un champ à l’aide d’une araire attelée à un bœuf ; au centre, un troupeau de moutons paît tranquillement.

L’artiste utilise là un ingénieux dispositif optique qui consiste à faire remonter la pelouse en arc de cercle, de même pour la disposition des rochers, créant ainsi une sorte de perspective curviligne qui met en évidence la scène qui se déroule au centre.

Novateur dans la représentation de l’espace, le Maître de Boucicaut l’est aussi dans le rôle de la lumière. Dans le paysage, les objets s’estompent en s’éloignant, comme enveloppés d’un brouillard, et le ciel au bleu dégradé dispense une lumière de plein air. Toute la scène est éclairée par le haut grâce aux rayons qui émanent d’un soleil divin. L’ensemble figure plus le paradis terrestre qu’un paysage sec de Terre Sainte. L’arrière-plan, inscrit en transparence dans les rayons d’or, présente une délicatesse de lumière qui crée une véritable perspective atmosphérique, grâce aussi au dégradé du ciel au niveau de la ligne d’horizon. Rien de tel dans la Visitation des frères Limbourg dans les Riches Heures du duc de Berry.

Grâce à la découverte de nouveaux liants, l’enlumineur a pu disposer de couleurs plus brillantes, capables de créer de la transparence et de rendre les détails avec une plus grande précision. Ainsi, la pelouse est animée par de petites touffes d’herbe vert pâle. Le feuillage des arbres se joue de la lumière : jaune au sommet, vert clair au milieu et vert foncé à la naissance du feuillage ombragé. Les troncs mêmes disent que la lumière vient de la gauche.

Par cette vision nouvelle de l’espace et cette sensibilité à l’atmosphère, par les procédés inventés pour les exprimer, on peut dire que le Maître de Boucicaut va influencer le style de Jean Fouquet, l’enlumineur des Heures d’Etienne Chevalier, et qu’il ouvre la voie au réalisme nordique qui triomphera avec le Maître de Flémalle et les Van Eyck.

II. LA VISITATION, UNE ŒUVRE DE LA PEINTURE FLAMANDE

II. Détail d’un volet du Retable de la Crucifixion, peint par Melchior Broederlam entre 1392 et 1399
Huile sur bois.
Hauteur : 167cm ; largeur de la partie centrale : 252cm ; largeur de chaque volet latéral : 125cm
Musée des Beaux-arts de Dijon

On ne sait pas grand-chose de Melchior Broederlam. Il naît vers 1350, probablement à Ypres, en Flandres. De 1381 à 1384, il est peintre à la cour du Comte de Flandres, Louis de Mâle, puis entre au service de son gendre, Philippe le Hardi, jusqu’à la mort de celui-ci en 1404. La seule oeuvre qui nous reste de lui, de manière certaine, ce sont les deux volets extérieurs de ce Retable de la Crucifixion qui compte parmi les plus anciens exemples conservés de ces retables flamands. C’est dire son intérêt.

Philippe le Hardi, quatrième fils du roi de France Jean le Bon, reçoit en apanage, en 1363, le duché de Bourgogne en récompense de sa bravoure militaire. En 1369, il épouse Marguerite de Flandres et se trouve à la tête d’un riche territoire qui comprend approximativement la Bourgogne, la Franche-Comté et les Flandres. Grand amateur d’art, il est particulièrement attaché à l’essor artistique de la capitale de son duché, Dijon.
Très pieux, il fonde en 1384 une chartreuse au lieu-dit Champmol, aux portes de Dijon. Ce monastère, placé sous le patronage de la Sainte Trinité, doit devenir le lieu de sépulture de la nouvelle dynastie, en prenant pour exemple la nécropole de Saint-Denis pour les rois de France.

C’est dans ce contexte que le duc Philippe passe la commande, en 1390, du Retable de la Crucifixion pour orner la chartreuse de Champmol. Il est réalisé par le sculpteur flamand Jacques de Baerze pour la partie sculptée et par Melchior Broederlam pour la peinture des volets extérieurs mais aussi la dorure et la polychromie des sculptures.
Dans la partie centrale sont représentées l’Adoration des Mages, la Crucifixion et la Mise au tombeau. Sur les volets latéraux alternent des figures de saints et de saintes vénérés pour leur pouvoir d’intercession.

Sur les volets peints au revers, sont représentées quatre scènes de l’enfance du Christ, deux sur chaque panneau : l’Annonciation et la Visitation sur le premier, la Présentation au temple et la Fuite en Egypte sur le second, avec une alternance de scènes d’intérieur et d’extérieur.

C’est une composition à plusieurs niveaux qui réunit les environnements divers des deux scènes. Dans ce but, Broederlam a placé l’ange Gabriel en plein air. L’ensemble architectural devient une partie du paysage car, devant le soubassement de la construction, on aperçoit le sol brun et couvert d’herbe, et les fleurs du jardin clos introduisent la nature entre les murs de pierre.
Les deux parties du tableau sont articulées harmonieusement : la rotonde s’encastre dans les versants de la montagne ; la couleur de la robe de Gabriel et de celle d’Elisabeth se répondent.
La composition du volet de l’Annonciation et de la Visitation est unifiée par un ensemble de moyens subtils, dont la forme compliquée du cadre exploitée avec adresse : le rayon doré qui sort de la bouche de Dieu le Père conduit à la Vierge de l’Annonciation et la ligne en biais du cadre à celle de la Visitation. Une autre diagonale relie l’angle droit du haut et l’angle gauche du bas : c’est la ligne imaginaire qui relie Gabriel, la Vierge et l’ange (en haut à droite) sur lequel se répètent les couleurs de leurs vêtements.
Les architectures gothiques du retable illustrent les premiers tâtonnements de la peinture européenne pour représenter "l’illusion perspective", le panneau de gauche jouant avec une perspective oblique, le panneau de droite avec une perspective frontale.

Dans la scène de la Visitation, Marie va à la rencontre de sa cousine Elisabeth. La rencontre a lieu dans un site rocheux. De l’eau sourd d’une crevasse au premier plan. Des arbustes et des plantes poussent dans des anfractuosités du sol. Un oiseau, peut-être une hirondelle, messagère de bonne nouvelle, survole le paysage. Au sommet de la montagne la plus élevée se dresse un château-fort. Au-dessus, plane un petit ange, les ailes étendues. Il tient à deux mains une banderole vierge. Il se détache sur un fond d’or, héritage de la peinture byzantine, comme les rochers. Le peintre s’inspire aussi de la peinture italienne du Trecento. On le voit notamment dans sa manière de traiter le paysage et dans l’architecture du temple de la Présentation. Au premier plan, un arbre, dont la taille est plutôt celle d’un arbuste. La proportion n’y est pas.
Si la scène peinte par Broederlam correspond bien à l’Evangile selon saint Luc, son cadre a été délibérément modifié : le peintre a préféré placer la scène en extérieur pour des raisons de symétrie. La rencontre entre Marie et Elisabeth n’a en effet pas lieu dans la maison de Zacharie qui n’apparaît pas (on peut difficilement prendre le château-fort pour la maison de Zacharie) et dont on ne voit pas le chemin. Marie a les yeux baissés et ses mains retiennent les pans de son manteau. Geste pratique, bien sûr, mais aussi symbolique : il confirme son attitude d’humilité et Marie semble garder Dieu qui habite en son cœur. La main gauche d’Elisabeth touche le ventre de sa jeune cousine enceinte, grossesse aussi miraculeuse que sa propre grossesse.
Symétrie aussi dans l’emploi des couleurs. Les vêtements rouges et verts d’Elisabeth rappellent la robe rouge de l’ange et le vert du jardin, lesquels font éclater le somptueux manteau bleu de la vierge, ce bleu outremer que l’on obtenait en broyant du lapis-lazuli (littéralement "pierre-azur ") et qui se vendait au prix de l’or.
En observant les vêtements des deux femmes, on ne peut qu’admirer les drapés des manteaux qui l’un, entrouvert, laisse apercevoir la robe brodée d’or de la Vierge, l’autre, un peu retroussé dans le bas, permet de voir la doublure blanche. Ces couleurs vives ressortent particulièrement sur le fond ocre des rochers. Il faut aussi remarquer la délicatesse des motifs poinçonnés sur les auréoles d’or.

Ces quatre scènes de l’enfance du Christ insistent toutes sur la reconnaissance de la divinité du Christ, reconnue d’abord par la Vierge, puis par Elisabeth, par Siméon (cf. la Présentation au temple) et enfin par le monde, puisque le retable, au-delà de sa fonction décorative, doit susciter la ferveur devant l’évocation de la présence divine.

Ainsi, ce Retable de la Crucifixion est exceptionnel à plus d’un titre : parce qu’il est le seul ouvrage connu de Melchior Broederlam dans le monde entier ; parce qu’il est aussi le témoignage d’un travail raffiné et précieux ; et surtout parce que, par son exceptionnelle qualité, il est sans doute un jalon essentiel de la peinture du XIVème siècle.
Encore marqué par ce qu’on appelle le style gothique international (phase tardive de l’art gothique qui s’est simultanément développé sur les terres franco-flamandes, en Bourgogne, en Bohême et dans le nord de l’Italie entre la fin du XIVème et le début du XVéme siècle avant de se propager à travers l’ensemble de l’Europe occidentale et centrale, justifiant ainsi le nom donné à cette période par l’historien d’art français Louis Courajod à la fin du XIXème siècle), Broederlam en retient l’élégance des formes, la splendeur des couleurs éclatantes, le goût pour le merveilleux dans les architectures, le raffinement dans la représentation des personnages aux longs doigts fins et aux gestes maniérés.

Il innove toutefois par une grande attention aux détails — par exemple, des étoffes et des drapés — et son souci du réalisme. Ainsi, le Joseph de la Fuite en Egypte est-il peint comme un vrai homme du peuple — ceux qui travaillent de leurs mains — vêtu d’un costume de paysan de l’époque, partant pour un long voyage avec son baluchon auquel est suspendue une petite marmite, sa bourse passée sous la ceinture, et buvant à la régalade. Ce souci du détail, il a pu s’en inspirer en regardant les enluminures de son temps (celles du Maître de Boucicaut, de Jean Colombe ou de Jean Fouquet), qui révèlent aussi un sens aigu de l’observation naturaliste. Broederlam innove aussi par sa volonté de construire un espace convaincant. Il introduit la notion de profondeur en employant des lignes de fuite. Et nous avons vu que, dans la scène de l’Annonciation, les lignes de fuite étaient une façon de montrer le passage de l’Annonciation à l’Incarnation. C’est probablement une des premières fois qu’un peintre se sert de la perspective pour passer un message théologique.
Par ces innovations, Melchior Broederlam est un précurseur de l’art des Primitifs flamands du XVème siècle, tel Robert Campin, les Van Eyck ou Van der Weyden.

III. LA VISITATION, UNE ŒUVRE DE LA PEINTURE FLORENTINE

Ce portrait posthume de Cosme de Médicis, commandé par Ottaviano de Médicis en 1518 à Pontormo, témoigne de la confiance encore accordée au peintre par les Médicis qui consolidaient leur pouvoir depuis leur retour à Florence et ouvraient une période de grande fertilité artistique. En fait, Pontormo deviendra leur peintre officiel sans jamais faire partie de leurs courtisans et, grâce à eux, aura de nombreux commanditaires prestigieux.

La vie de Jacopo Pontormo nous est connue grâce à la biographie détaillée de Giorgio Vasari et grâce aussi à un énigmatique journal que Pontormo a rédigé dans les deux dernières années de sa vie, de mars 1554 à novembre 1556, et qui mêle des notes sur son alimentation, sa santé, sa vie publique et sur l’avancée des travaux des fresques de la basilique San Lorenzo de Florence, qui ont été détruites depuis. Tous ces éléments révèlent une personnalité complexe, mélancolique et solitaire.

Jacopo Carucci, surnommé Le Pontormo, est né en 1494 à Pontormo, près de Florence. Fils d’un peintre florentin de l’école de Ghirlandaio, il est orphelin à dix ans. Il est envoyé à Florence où il passera le reste de sa vie. En 1511, il entre dans l’atelier d’Andrea del Sarto, puis dans celui de Piero di Cosimo et a des contacts avec Léonard de Vinci.
Il a vingt-quatre ans quand il peint le retable Pucci de l’église San Michèle Vis Domini à Florence en 1518. L’œuvre, qui représente une Sainte Conversation, marque une rupture avec le style Renaissance classique.
De 1525 à 1528, il travaille à la décoration de La Chapelle Capponi, dans l’église Santa Felicita. On peut encore y voir deux de ses plus grands chefs-d’œuvre : une Annonciation et une Déposition de Croix, dont la composition singulière, les poses contorsionnées de ses personnages aux expressions inquiètes et les couleurs acidulées constituent une des œuvres les plus importantes des débuts de ce qu’on a appelé la "manière" florentine.
Le siège de Florence par les armées impériales en 1529 et la mort d’Andrea del Sarto l’année suivante font sombrer Pontormo dans un profond désespoir.
Il peint alors de nombreux portraits remarquables par leur modernité. Cependant, la plus grande partie de son œuvre reste les peintures et les fresques. Le plus connu de ses élèves est Agnolo Bronzino.
Il meurt à Florence, sans doute dans les derniers jours de décembre 1556, et est enterré le 2 janvier 1557, en l’église Santissima Annunziata.

En observant attentivement deux de ses œuvres ayant pour sujet la Visitation — l’une réalisée pendant sa période de formation, l’autre presque quinze ans plus tard — nous pourrons comprendre comment cet artiste reconnu s’est détaché de ses maîtres pour tenter des expériences picturales et inventer un vocabulaire nouveau.

La Visitation, Jacopo Pontormo - 1514-1516
Fresque. Eglise Santissima Annunziata, Florence
392 x 337cm

A. Cette fresque a été commandée par Jacopo de Rossi, prieur du couvent de l’Annonciation. L’œuvre de Pontormo conclut le cycle des scènes de la vie de la Vierge, sur lequel Andrea del Sarto, Andrea Franciabigio et le Rossi avaient également travaillé et situé dans le cloître de l’église.

Dans cette Visitation, Pontormo prend pour modèles les grands retables de Fra Bartolomeo et de Raphaël. En particulier, il emprunte au retable Pitti (Florence, Galerie de l’Accademia) le portique en demi-cercle et les quelques marches qui servent de plateau aux personnages disposés en arc de cercle de part et d’autre de Marie et d’Elisabeth qui occupent le centre de la scène. Elisabeth fait le geste de s’agenouiller devant sa jeune cousine. "Comment m’est-il donné que vienne à moi la mère de mon Seigneur ?" (Luc 1, 43). Les deux femmes sont représentées quasiment comme dans la peinture de Domenico Ghirlandaio.
Les autres personnages de la scène, essentiellement des femmes, sont anonymes. L’Evangile de Luc ne les mentionne pas. Légèrement dans l’ombre, la plupart font des gestes de la vie quotidienne : une vieille femme a sa canne à la main, une plus jeune porte un enfant dans ses bras, une autre un paquet de linges sur sa tête, une autre encore semble discuter avec un vieillard qui lève la main sur la droite de la fresque. Que font-ils là, tous ces personnages ? L’homme et la femme qui encadrent la scène, à droite et à gauche, nous regardent et nous font entrer dans le tableau. Nous, spectateurs, sommes invités à voir et à entendre ce que se disent ces deux femmes : l’annonce de deux naissances extraordinaires et le Magnificat, texte qui contient de multiples références à l’Ancien Testament et marque le lien entre l’Ancienne et la Nouvelle Alliance.
Le jeune homme qui se trouve à l’extrême droite de la fresque tient dans ses mains un grand cahier. Il ressemble étrangement à l’autoportrait de Pontormo lui-même.
Les couleurs sont vives et variées, aussi variées que l’est cette foule. Le vert de la robe de la femme qui porte son enfant répond au vert de la manche d’Elisabeth et à celui du tissu qui entoure la tête du vieillard. Il en est de même pour le rouge des manteaux.

La composition en triangle guide le regard vers le sommet de la fresque où se déroule une étrange scène : entouré de deux putti, Dieu le Père tient dans sa main droite un couteau au-dessus de la tête d’une jeune femme agenouillée, nue.
L’espace créé par le décor dans lequel sont disposés les personnages est un écho des compositions créées par Fra Bartolomeo et par le Raphaël de la Madone au baldaquin et de L’Ecole d’Athènes, peintures typiques de la Renaissance italienne, caractérisées par un sens exceptionnel de l’harmonie et des proportions et une grâce sans pareil.

Mais ici, la symétrie un peu statique des compositions de Fra Bartolomeo connaît une animation inattendue. Le putto nu, aux jambes écartées, au premier plan, qui répond symétriquement à une jeune femme anonyme assise sur les marches et qui se retourne pour nous regarder, indique que Pontormo ne se satisfait pas de cet équilibre classique. Même la belle couleur mauve du manteau de la femme n’est pas ordinaire. Ces deux personnages, qui sortent de la foule et dont la pose surprend, nous font signe. Déjà, Jacopo Pontormo innove.

La Visitation de Carmignano (1528-1530), de Jacopo Pontormo
Huile sur bois . 202 x 156cm
Église San Michele et San Francesco, Carmignano

B. Cette peinture était destinée à orner l’autel de la chapelle de la famille Pinadori, dans l’église San Michele et San Francesco à Carmignano, à dix kilomètres de Florence, et est demeurée presque toujours dans cette même église.
Récemment restaurée, elle permet au visiteur d’en admirer la facture et de s’étonner : quelques éléments l’aident à reconnaître la scène décrite dans l’Evangile de Luc (1, 39-56), mais d’autres peuvent le laisser perplexe.

Il existe un dessin préparatoire qui se trouve au cabinet des dessins et des estampes de la galerie des Offices, quadrillé afin d’en reporter les proportions sur la préparation du panneau.
Pontormo vient de réaliser pour La Chapelle Capponi de l’église Santa Félicita de Florence une Déposition de Croix qui impose un style d’une incroyable originalité et qui fait l’admiration des Florentins en 1528. On retrouve la réussite formelle et la profondeur mystique de ce tableau dans la Visitation de Carmignano, comme nous allons l’observer.

La composition est très resserrée autour de quatre femmes. La présence divine intérieure qui anime la rencontre est signifiée par la fine ligne d’or qui encercle la tête de celles présentées de profil. La plupart des historiens d’art s’accordent maintenant pour dire que les quatre personnages de la scène pourraient bien être deux fois les deux mêmes. Marie et Elisabeth sont représentées de profil, mais, à part une simple inversion des couleurs de leurs vêtements, ce sont elles également qui nous font face — présences énigmatiques —, comme des doubles : l’âge, l’habillement correspondent. Mais nous sommes frappés par leur posture rigide et leur visage figé. La plus âgée fixe des yeux le spectateur du tableau, tandis que la jeune femme a un regard plus vague. Les quatre personnages forment comme quatre piliers en une sorte de parallélépipède. La composition est particulièrement originale avec la position des bras et des mains, les plis arqués des vêtements qui amplifient les volumes, les lignes allongées des corps qui donnent l’impression d’une légère contre-plongée, la torsion des corps...
C’est une peinture presque musicale. Les lignes sont dansantes et accentuées par la position des pieds des deux figures principales.
Les couleurs sont intenses et lumineuses. Notons également le génie de Pontormo qui parvient à agencer subtilement des tons difficiles à accorder et dont la restauration du tableau révèle toute l’audace : du rose, du bleu, du vert, du jaune. Un mélange qui donne une véritable vivacité à la scène. On est là devant un manifeste du maniérisme du Cinquecento. Couleurs lumineuses et corps en mouvement indiquent néanmoins la joie de la rencontre.

La scène est transposée dans une rue citadine dont on distingue à peine quelques éléments architecturaux et une rue (en bas à gauche), comme irréels, en raison des silhouettes disproportionnées de ces quatre femmes au premier plan. Un âne souriant débouche du coin de la place et deux hommes devisent, assis sur un banc de pierre. Le décor épuré invite le spectateur à se concentrer sur l’étreinte des deux femmes vues de profil et l’échange impénétrable de leurs regards. De profil, nous distinguons à peine leurs yeux. Et pourtant, le face à face, la profondeur et la sérénité des regards expriment l’intensité de ce moment de communion entre les deux parentes, les futures mères. Bien que muet, le tableau invite à la conversation.
De fait, la Visitation est d’emblée affaire de voix. Jean-Baptiste sera la voix qui annoncera le Christ, Zacharie retrouvera sa voix lors de la circoncision de son fils. Mais surtout, entendant la salutation de Marie, Jean-Baptiste tressaille dans le sein de sa mère et Elisabeth pousse un grand cri (Luc 1, 39-45). Or il n’y a pas de scène plus silencieuse que la rencontre des deux femmes peintes par Pontormo. Et pourtant, nous pouvons entendre ces voix car tout ici est converti en regards. Évitant l’anecdote, le peintre élimine tout élément de contexte superflu et se concentre sur l’événement de la rencontre, sur l’échange des regards. Et il prend bien soin de projeter la scène au premier plan du tableau, au plus proche du spectateur.

Là Marie et Elisabeth s’étreignent, et l’intensité des regards tendus entre leurs deux visages est relayée, amplifiée par celui de la femme qui, entre elles, nous fait face et dont le visage se situe exactement à la même hauteur. Dans le plan du tableau, le regard qu’échangent les deux femmes passe par les yeux de la troisième femme qui nous en répercute l’intensité. C’est comme si les deux profils se joignaient en un visage pour nous faire face. Spectateurs, nous sommes directement frappés par ce qui se joue dans la scène, grâce à cette espèce de rotation qui, de deux profils, fait un visage. Nous sommes engagés dans la conversation avec le tableau, comme nous sommes engagés dans la conversation qu’est la Visitation.
Il y a deux registres dans ce tableau : celui, externe, du spectateur qui regarde les deux profils, et celui, interne, des personnages qui se font face. Ce qui permet au spectateur d’entrer dans le tableau.
Ainsi, Pontormo s’appuie sur son art de peintre pour donner corps au message chrétien. Le tableau lui-même, autant que la scène représentée, devient un appel à la foi.

IV. LA VISITATION : UNE ŒUVRE DE LA PEINTURE FRANÇAISE DU XVIIIème SIÈCLE

La monarchie de Louis XIV est marquée par l’idée de grandeur et une nouveauté dans l’histoire de la peinture occidentale va entraîner un changement des modes de composition, du regard et des lieux d’exposition : le tableau de grand format.
Au début du XVIIIème siècle, le chœur gothique de la cathédrale Notre-Dame de Paris fait l’objet d’une importante campagne de travaux. Son instigateur, le chanoine Antoine de La Porte, décide d’offrir à la cathédrale six tableaux sur le thème de la vie de la Sainte Vierge.
Lorsqu’il meurt, en 1710, il ne voit pas l’achèvement de ce mécénat mais, grâce à l’héritage qu’il lègue à la cathédrale, ce ne sont pas six mais huit tableaux monumentaux qui prennent place dans le chœur de Notre-Dame, et parmi eux la Visitation de Jean Jouvenet. Certaines de ces toiles ont disparu au moment de la Révolution et au moment des entreprises de restauration d’Eugène Viollet-le-Duc, mais la Visitation a été conservée ; elle a même survécu au dramatique incendie qui a ravagé notre cathédrale en avril 2019.

Jean Jouvenet, dit le Grand, appartient à une famille d’artistes d’origine italienne, venue se fixer à Rouen au milieu du XVIème siècle. Il naît donc à Rouen en 1644 et commence ses études auprès de son père, Laurent Jouvenet. Puis il rejoint à Paris en 1661 l’atelier de Charles Le Brun à qui la corporation des orfèvres avait commandé en 1651, pour Notre-Dame, un May représentant Le Martyre de saint Étienne. Les Mays sont ces grands tableaux d’autel commandés chaque année, entre 1630 et 1707, par la corporation des orfèvres en hommage à la Vierge Marie. Leur remise solennelle à la cathédrale au mois de mai explique leur nom (cf. L’image des Mays de Notre-Dame au XVIIème siècle).
Très estimé par son maître, Jouvenet n’a que dix-sept ans quand il intègre l’équipe des décorateurs des résidences royales, et seulement vingt-neuf lorsqu’il exécute La Guérison du paralytique, un May pour Notre-Dame. Le tableau assure désormais sa réputation d’artiste et, après la mort de Le Brun en 1690, son talent et sa fécondité le placent à la tête de l’Ecole Française. Mais en 1713, à la suite d’une attaque d’apoplexie, il est paralysé du côté droit. Travailleur acharné, il se met à peindre de la main gauche de grandes allégories et des tableaux religieux, dont la Visitation, qui sera sa dernière œuvre. Il meurt à Paris en 1717. Parmi ses élèves, on compte Nicolas Bertin, Jean-Marc Nattier, Jean II Restout, son neveu, et son propre frère François Jouvenet qui a été un grand portraitiste et peintre du roi.
Le Musée du Louvre possède quatorze de ses toiles.

La Visitation, Jean Jouvenet - 1716
Huile sur toile
Cathédrale Notre-Dame de Paris - Dépôt du Musée du Louvre
Hauteur 4,32m x Largeur 4,41m

La scène illustre la visite de Marie, enceinte du Christ, à sa cousine Elisabeth, enceinte de Jean le Baptiste. Le peintre ne retient pas l’épisode traditionnel de la rencontre où les deux femmes dialoguent mais celui, rarement traité, du Magnificat : la Vierge glorifie le Seigneur qui "s’est penché sur son humble servante" et l’a faite bienheureuse. Certains auteurs appellent d’ailleurs ce tableau Le Magnificat.

Chez Jouvenet, la scène de la Visitation se passe sur des marches, au centre même de la composition, dans un encadrement de personnages habilement groupés et d’une architecture aux lignes classiques, tandis que, dans les nuées, apparaissent trois anges triomphants, dont la disposition forme un triangle, une Trinité dont le Père est suggéré par le bras dressé de l’ange vêtu de vert dont la main désigne le ciel. L’ange de droite, vêtu de rose, les mains en prière, regarde Marie qui porte le Christ en son sein.

La Vierge, debout sur les dernières marches, auréolée de lumière, lève les yeux au ciel. Près d’elle, sa cousine Elisabeth, qui est dans le sixième mois de sa grossesse, s’incline, les mains croisées sur sa poitrine. Les bras écartés de Marie forment les deux diagonales du tableau à la croisée desquelles éclate le magnifique bleu lapis-lazuli de son manteau qui l’enveloppe et protège son ventre, et dont le savant drapé rappelle ceux de Rubens pour qui Jean Jouvenet avait une grande admiration. Le peintre joue ici avec les tons des vêtements de Marie : le gris bleuté de la robe, le voile blanchâtre et le mauve de la manche qui émerge, le tout réchauffé par l’ocre de la ceinture.

Marie a fait le voyage de Nazareth en Galilée à Eïn Kerem en Judée pour cette rencontre et Joseph l’a accompagnée, avec l’âne qui est à ses côtés. L’Evangile de Luc ne le mentionne pas, mais, à cette époque, une femme ne voyage pas seule. Joseph a encore son bâton de voyageur dans la main. L’inclinaison de son buste et de son bras droit est parallèle à l’oblique du bras gauche de Marie. Derrière eux, une jeune femme porte une corbeille sur la tête. Plus en arrière encore, créant un effet de profondeur, on distingue le visage de deux autres personnages.
Sur la gauche, se tient en retrait le prêtre Zacharie, époux d’Elisabeth. Lui aussi participe de l’équilibre de la composition : il suit la même inclinaison que le bras droit de la Vierge, et il a les yeux baissés vers son épouse, comme Joseph.

Au premier plan, à gauche, deux jeunes femmes sont assises — ou plutôt à demi-allongées — en pleine lumière, vues l’une de dos, l’autre de trois-quarts, les yeux tournés vers Marie et Elisabeth. De même qu’un couple de vieillards vus de profil, derrière elles, pour l’équilibre de la composition. Seul le crâne du vieillard accroche la lumière.
Lors de cette rencontre, les deux cousines sont donc entourées de nombreux personnages qui n’apparaissent pas dans l’Evangile de Luc, mais dont l’attitude révèle le mystère auquel ils assistent.
On peut aussi noter le jeu des bras et des mains, ouvertes, posées sur le cœur, en prière, croisées, jeunes ou noueuses...

Au-dessus de ces quatre personnages à gauche, viennent s’ajouter, de façon arbitraire, deux autres visages : ce sont ceux du peintre lui-même et du chanoine de La Porte, qui est décédé depuis près de six ans quand Jouvenet le peint sur ce tableau, peut-être pour lui rendre hommage. Le peintre userait ici d’une tradition ancienne dans la peinture religieuse de représenter son commanditaire. Cependant certains historiens de l’art se demandent si ces deux portraits n’auraient pas été ajoutés après leur mort. Quant au portrait de Jouvenet, qui va mourir l’année suivante, il se présente avec un visage jeune, idéalisé.

Une autre caractéristique de cette toile est son inscription sur la première marche : "J. Jouvenet. Dextra paralyticus. Sinistra pinxit. 1716." C’est-à-dire "J. Jouvenet a peint (ce tableau) de la main gauche, la droite étant paralysée".

On peut voir chez Jouvenet l’influence de Le Brun dans les vastes compositions, dans la gestuelle des personnages et les mouvements des drapés qui créent des effets théâtraux (Cf. Le Martyre de saint Étienne). Mais les coloris sont plus vifs et lumineux chez l’élève. Le peintre ne craint pas d’utiliser côte à côte les couleurs primaires, ni d’opposer un beau vert de nerprun à un rose éclatant.
Connue et admirée par ses contemporains, cette Visitation a été plusieurs fois copiée au XVIIIème siècle.

Peut-être reverrons-nous ce chef-d’œuvre accroché dans notre cathédrale Notre-Dame où il avait sa place. Car on ne peut pas oublier de l’avoir admiré au musée du Petit Palais qui a présenté, dans une scénographie spectaculaire, une grande exposition intitulée "Le Baroque des Lumières, Chefs-d’œuvre des églises parisiennes", en mars 2017. Exposition consacrée aux grandes peintures religieuses du XVIIIème siècle, qui s’ouvrait sur une première salle présentant un grand tableau du peintre Jean Jouvenet, La Visitation de la Vierge. Le visiteur était subjugué par la fraîcheur des tons. Comment oublier l’effet du manteau bleu de la Vierge sur la robe, et le voile gris bleuté et blanc, et ce halo lumineux autour d’Elle ?

L’exultation de Marie est la nôtre, c’est la joie de chaque chrétien qui rend grâce pour les bienfaits reçus du Seigneur. Marie, comme enflammée par l’enfant divin qu’elle porte en elle, s’élance chez sa cousine plus âgée, qui attend elle aussi un enfant, afin de lui apporter aide et réconfort. Marie entonne le Magnificat, le plus célèbre chant de louange et de remerciement de tous les temps, lors de la Visitation. Louons Dieu avec elle.

Le groupe Fra Angelico
Saint-Jean des Deux-Moulins

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