L’Ascension 2021 en images
Comment Jésus disparaît-il aux yeux des apôtres et monte-t-il auprès de son Père tout en étant présent à chacun de nous ? Comment y croire ?
"Après la Passion et la Résurrection, Jésus a accompli sa tâche et il s’en va pour siéger à la droite du Père et pour préparer une place à ses disciples" (Jn 14, 2).
L’Ascension est donc à la fois séparation d’avec les disciples et élévation, glorification du Christ.
La tradition célèbre l’Ascension quarante jours après la Résurrection (Actes des apôtres 1, 3). Le nombre est symbolique : c’est le temps de l’épreuve, le temps qu’il faut pour se rapprocher de Dieu (cf. le déluge, les quarante jours passés par Jésus au désert, le carême...).
Acceptons l’épreuve et répondons à l’invitation du groupe Fra Angelico à observer l’œuvre proposée.
L’Ascension du Christ, Le Pérugin
Huile sur bois transposée sur toile. H : 3,25m ; L : 2,65m
Peinte entre 1495 et 1498.
En 1495, les bénédictins de l’abbaye de Pérouse demandent à Pietro di Cristoforo Vannucci, plus connu sous nom du Pérugin, de réaliser un tableau d’autel pour l’ église Saint Pierre de leur ville. L’abbé s’adresse à l’un des plus grands maîtres de la peinture de la Renaissance italienne de la fin du XVème siècle. Nous avons la chance d’avoir le contrat. Nous savons donc que le tableau a coûté cinq-cents ducats d’or et qu’il devait être réalisé en deux ans et demi maximum. Et les moines décrivent précisément les personnages et les couleurs qui doivent être utilisées sur leur polyptyque, celui-ci comportant quinze parties à l’origine. Les panneaux ont été rapportés en France par les armées napoléoniennes en 1797, avant d’être dispersés dans différents musées. En 1815, le Vatican demande que l’on rende les tableaux du Pérugin mais le pape Pie VII accepte de donner définitivement à Lyon L’Ascension, malgré sa très mauvaise relation avec Napoléon Ier. L’œuvre finit transposée au Musée des Beaux-arts de Lyon, accompagnée de la partie supérieure, encadrée de colonnes architecturées dorées.
Lors de cette commande, la notoriété de Pietro Vannucci (1450-1523) est établie. Il a côtoyé Léonard de Vinci dans l’atelier du maître Andrea del Verrochio. Il a été l’un des artistes appelés sur le chantier de la chapelle Sixtine aux côtés de Sandro Botticelli. Il a ensuite été le maître de Raphaël. Au cours du bouillonnement de la Renaissance, il s’impose comme l’un des artistes les plus novateurs de son temps. Dix ans avant la commande des bénédictins de l’abbaye de Pérouse, Pietro Vannucci, né dans la petite ville de Citta della Pieve en Ombrie, non loin de Pérouse, est nommé citoyen d’honneur de la ville, ce qui lui vaut son surnom de "Pérugin".
L’évangéliste Saint Marc fait allusion à l’Ascension du Christ mais c’est essentiellement Saint Luc qui raconte, dans son Évangile (24, 50-53) et dans les Actes des apôtres (1, 1-2 ; 9-11), cet épisode qui nous rappelle la fin de la vie du prophète Elie dans le deuxième Livre des Rois dans l’Ancien Testament. Comme Elie, Jésus est enlevé au ciel et ses disciples "voient" cet enlèvement. Cela marque le début d’une nouvelle période : Jésus n’est plus sur terre et ce sont désormais les apôtres qui sont les responsables de la communauté et, lorsqu’ils reviendront à Jérusalem, ils annonceront la Bonne Nouvelle dans la joie.
La peinture du Pérugin a pour sujet la montée du Christ vers son Père. Elle traduit bien cette idée d’élévation à travers une construction claire et un schéma composé sur la symétrie. On voit immédiatement trois registres : le premier registre, c’est le monde terrestre que Jésus a quitté ; le deuxième, c’est le ciel dans lequel Il s’élève ; ces deux premiers registres communiquent par le bas de la mandore touchant l’auréole de la Vierge ; et le troisième, tout en haut, dans l’arc, c’est toujours le ciel mais c’est celui où Dieu le Père accueille son Fils. Les trois registres sont liés par des échanges de regards entre les personnages et la gestuelle. Au centre, un axe vertical, qui va de la Vierge à Dieu en passant par le Christ, révèle la répartition des apôtres en deux groupes.
La composition, calme et harmonieuse, peut nous paraître archaïque. À l’époque, elle était d’une grande audace.
Attardons-nous d’abord sur le Christ. Nimbé d’une auréole à peine visible, il occupe le centre de la toile. On voit bien qu’il s’agit du Christ ressuscité car il porte les stigmates de la crucifixion. Debout, entouré d’une mandorle décorée d’étoiles et d’arcs-en-ciel et animée par des séraphins, il a les pieds posés sur une nuée. Les yeux baissés vers sa mère et les apôtres, il les bénit de sa main droite tandis que, de sa main gauche, il désigne son Père : "Puis il les emmena jusque vers Béthanie et, levant les mains, il les bénit. Et il advint, comme il les bénissait, qu’il se sépara d’eux et fut emporté au ciel" (Luc 24, 50-53). Quatre anges musiciens l’entourent. Deux autres, l’un vêtu de rose, l’autre de blanc, montrent du doigt Dieu le Père et déploient chacun un phylactère portant ces mots, en latin : "Viri Galilei quid aspicitis in celum ?", c’est-à-dire "Hommes de Galilée, pourquoi regardez-vous le ciel ?" Et l’autre : "Hic Jesus qui assumptus est a vobis in celum sic veniet", c’est-à-dire "Ce Jésus qui, en se séparant de vous, s’est élevé dans le ciel, reviendra de la même manière" (Actes des apôtres 1, 9-11).
Le groupe terrestre s’organise autour de la Vierge Marie. Première entorse aux Écritures saintes : Marie n’est pas censée être présente au moment de la montée au ciel de son fils. L’Eglise primitive des IVème et Vème siècles a commencé par célébrer ensemble l’Ascension du Christ et le don de l’Esprit Saint à la Pentecôte, ce qui explique sa présence ici. De plus, la Vierge est, par excellence, celle qui accueille l’Esprit de Dieu. Elle est au centre de l’Eglise qui prie pour recevoir l’Esprit Saint. Les mains jointes, elle est en prière, le visage levé vers son fils. Un beau manteau bleu recouvre sa robe carmin dont le bas est brodé de fils d’or.
À sa droite, on compte six apôtres et sept à sa gauche. Seconde entorse aux Écritures qui précisent que c’est "aux onze" que s’est montré le Christ après sa mort. En effet, Paul n’est pas encore converti au moment de l’Ascension et Judas n’a pas encore été remplacé par Matthias. Pourtant, on reconnaît Paul avec son épée, enveloppé dans un beau manteau rose. On reconnaît Pierre aussi, avec sa clef. Il est difficile d’identifier les autres apôtres. Celui qui est de trois-quarts, qui porte dans la main gauche un codex rouge et qui ferme la composition, est sans doute un des quatre évangélistes ; sa jeunesse fait penser à Jean. Tous portent des robes finement brodées de fils d’or. Le Pérugin accorde une attention particulière à la luminosité des couleurs, intenses et contrastées. Les traits des visages sont fins, les expressions diffèrent ainsi que les attitudes de chacun qui rythment le tableau et conduisent notre regard d’une figure à l’autre. La plupart regardent vers le ciel où s’élève le Christ, mais deux d’entre eux, un à droite l’autre à gauche, nous regardent, nous faisant entrer dans la scène, au milieu d’eux, devenant nous-mêmes des témoins.
Les figures possèdent une idéalisation parfaite. Elles ne sont pas issues de l’étude du naturel mais plutôt de l’esthétique classique qui a été à la base du développement artistique du XVIème siècle. Aucune dramatisation dans cette scène. Le Pérugin invente un style d’une noblesse empreinte de sérénité et de douceur dont d’autres artistes s’inspireront, notamment Raphaël.
Sous leurs pieds poussent une herbe tendre et des plantes médicinales — symboles de guérison — parmi lesquelles on reconnaît la camomille et la ficaire.
À l’arrière-plan, baignant dans des tons bleutés, se déploie un paysage où l’on distingue une ville fortifiée, une rivière, des arbres au fin feuillage, des collines et des montagnes qui se dégagent dans le lointain selon les règles de la perspective atmosphérique. On sent que le peintre porte un soin particulier au rendu de la nature et des architectures qui forment l’arrière-plan de son tableau. Le paysage n’est pas considéré comme un simple élément décoratif ; un dialogue s’établit entre lui et les figures du premier plan, selon des rapports harmonieux. On découvre un équilibre parfait entre l’évocation du réel et la construction mentale.
Dans l’arc supérieur, sur un fond bleu céruléum, siège Dieu le Père. Il émerge jusqu’à la taille d’une nuée bleue, plus vaste que celle sur laquelle Jésus pose les pieds, signe de son entrée dans la gloire de son Père. Entouré de deux anges, dont le corps se penche dans la courbe de l’arc, et de nombreux séraphins, il regarde avec beaucoup de tendresse son Fils ainsi que le groupe de la Vierge et des apôtres. De la main droite, il esquisse un geste de bénédiction ; de l’autre main, il porte une orbe, symbole de son pouvoir. Là aussi, nous devons admirer le jeu subtil des couleurs chaudes et des couleurs froides, lumineuses.
Le Pérugin traite avec beaucoup de calme, de douceur et d’apaisement l’Ascension du Christ, ce moment où le ciel s’ouvre pour que Jésus siège au côté de son Père. C’est la tonalité de la vie chrétienne : bénédiction et joie. La fin de la visibilité de Jésus est aussi le commencement d’une vie nouvelle. Non seulement le Christ est vivant, il est ressuscité, mais il est auprès de son Père, donc présent à chacun de nous. À l’heure de son départ, confiant à ses disciples la mission d’aller porter son message dans le monde entier, il ne veut pas les laisser seuls dans leur mission. Aussi promet-il de rester ! "Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin des temps" (Mt 28,20). Ses disciples ne le verront plus, n’entendront plus sa voix, ne pourront plus le toucher, mais Jésus vivra au milieu d’eux. Désormais Jésus sera présent partout où se trouvent ses disciples.
L’Evangile de Luc raconte qu’après l’avoir vu au ciel, les disciples "retournèrent à Jérusalem pleins de joie" (Lc 24, 52). Nous aussi nous serons remplis de joie si nous croyons à la promesse de Jésus. Ses paroles, les dernières, marquent à la fois la fin de sa vie terrestre et le début de celle de l’Eglise. Si nous vivons ce qu’Il nous demande, spécialement son commandement nouveau, nous pouvons faire l’expérience de sa présence même en dehors des églises, au cœur du monde.