Dimanche des Rameaux et de la Passion 2022
Ce jour marque le début de la Semaine Sainte. La célébration, dans une même fête, de deux événements — l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem et sa condamnation à mort — met en évidence un contraste saisissant qui nous donne l’occasion de nous demander si nous aurions été dans la foule qui acclame ou dans celle qui crie sa haine. Vérifions notre attitude de foi face au Christ.
Le dimanche des Rameaux et de la Passion
Le Dimanche des Rameaux, Désiré François Laugée (1892).
Huile sur toile. Collection particulière.
Le dimanche des Rameaux célèbre l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem. Dans la tradition juive, les rameaux de palmier et le mot "Hosanna" évoquent la fête des récoltes, Souccot, mentionnée dans le Lévitique.
Dans le calendrier liturgique chrétien le dimanche des Rameaux est celui qui précède le dimanche de Pâques et marque l’entrée de la Semaine Sainte. Il commémore l’entrée de Jésus à Jérusalem et sa Passion. En mémoire de ce jour, les catholiques portent des rameaux (de buis, d’olivier, de laurier ou de palmier, selon les régions). Une fois bénis, les rameaux sont tenus en mains par les fidèles qui se mettent en marche, en procession : marche vers Pâques du peuple de Dieu à la suite du Christ.
La tradition chrétienne veut que l’on emporte, après la messe, les rameaux bénis, pour en orner les croix dans les maisons : geste de vénération et de confiance envers le Crucifié. Dans le tableau de Désiré François Laugée, une femme, dans un intérieur dépouillé, orne un crucifix d’un rameau de buis. Le geste est cérémonieux et empli de piété.
Les rameaux ou les palmes sont un symbole très ancien de victoire depuis la Mésopotamie et l’Egypte anciennes. Ils sont symboliquement assimilés aux palmes que tiennent les Saints martyrs dans l’Apocalypse (par exemple, dans le Retable de l’Agneau Mystique des frères Van Eyck).
Dans certaines villes du monde germanique, au Moyen-Age, des statues en bois de Jésus monté sur un âne se multiplient dans les églises. Elles sont souvent placées sur une plateforme en bois munie de roulettes et on les sortait pour la procession (cf. Le Christ des Rameaux du Musée de l’Oeuvre-Notre-Dame, à Strasbourg).
L’épisode de l’entrée de Jésus à Jérusalem est raconté dans les quatre Évangiles synoptiques (Mat. 21,1-11 ; Marc 11, 1-11 ; Luc 19, 28-44 ; Jean 12, 12-19). Si les récits présentent des variantes, le fond reste commun. Et ce dimanche-là, c’est l’occasion d’entendre le récit émouvant de la Passion du Christ. La beauté du rite provoque l’émotion.
La procession des Rameaux a un caractère triomphal et en même temps paradoxal : le peuple acclame Jésus, mais il demandera bientôt qu’on Le crucifie. Cette fête commémore donc à la fois deux événements contrastés : d’une part l’entrée solennelle de Jésus à Jérusalem, et d’autre part sa Passion et sa mort sur la croix.
Nombreux sont les artistes qui ont immortalisé cet événement depuis l’époque des premiers chrétiens, prenant leurs sources dans les textes sacrés mais aussi dans l’archéologie et la représentation d’œuvres de l’Antiquité qui ont pu servir de modèles. Le thème de l’entrée triomphale est fréquente dans le monde romain.
Nous avons donc choisi de méditer à partir de quatre œuvres d’artistes appartenant à des époques et à des mondes différents.
I. Entrée à Jérusalem, anonyme (1250)
Enluminure. Barcelone.
Scrupuleusement, cette enluminure peinte en Espagne au XIIIe siècle, donne à voir tout ce que mentionnent les Évangiles.
Les remparts rouges ne peuvent être que ceux de Jérusalem vers laquelle s’avance le cortège. Les six personnages représentés derrière le Christ, et dont les têtes sont entourées d’auréoles rouges et noires, sont les apôtres. Sous la porte ouverte dans les remparts, les coiffures qui apparaissent derrière les seules quatre têtes des personnages debout au premier rang suffisent à signifier la foule. Les Évangiles nous disent que certains coupaient des branches pour en garnir le chemin pris par le Christ ; quatre branches sont en effet peintes devant l’âne qui s’avance, jetées au sol par l’homme qui s’accroche à l’une d’entre elles, dans l’arbre même. D’autres ont posé leurs vêtements sur ce même chemin : un homme étend sur le sol une tunique devant cet âne et, devant la porte, un autre s’apprête à faire de même.
Dans l’Evangile selon saint Matthieu, la foule demande : "Qui est celui-là ?" à propos de l’homme assis sur l’âne. Or, dans la fenêtre ouverte à l’aplomb de la porte de la ville, un personnage qui tend le doigt vers le Christ donne la réponse. Réponse confirmée par l’un des disciples debout sur le bord droit de la miniature. Même index tendu. Cet homme est bien Jésus de Nazareth, en Galilée. L’auréole marquée d’une croix et la main droite dressée qui bénit ne laissent pas le moindre doute. Qui plus est, il est représenté plus grand que les apôtres qui le suivent, plus grand encore que les personnages de la foule. Sa taille suffit à dire son importance incomparable.
L’enlumineur a suivi l’Evangile de Jean pour un détail, une "infidélité" aux trois autres évangélistes : les disciples n’ont pas jeté leurs vêtements sur l’âne ; dans cette miniature, c’est sur un tapis de selle que le Christ est assis. Peu importe à celui qui la regarde. Il suffit que cette image conduise à entonner un "Hosanna" pareil à celui des témoins de l’entrée du Christ dans Jérusalem, un "Hosanna" devenu le Sanctus de l’Eglise romaine.
II. Arrivée du Christ à Jérusalem, Pietro Lorenzetti (vers 1320)
Fresque. Basilique inférieure Saint-François, à Assise
Rien ne manque à l’évocation de cette scène décrite par les évangélistes, et par Matthieu en particulier. Jésus arrive, monté sur une ânesse, auprès de laquelle marche son petit. "Ils amenèrent l’ânesse et son ânon, étendirent leurs manteaux dessus, et Jésus y monta" (Mt 21, 7). La foule est là, accueillant Jésus à l’instant où Il s’apprête à entrer dans Jérusalem.
Le peintre a placé le Christ au centre de sa fresque, devant la ville sainte qui ressemble pourtant à une cité italienne de Toscane. Les tours crénelées des architectures gothiques, les balcons aux fenêtres décorées de blasons évoquent la ville de Sienne où est né Lorenzetti.
L’église, dont on aperçoit le chœur et la tour, se trouve dans le prolongement de la figure axiale du Christ. Celui-ci apparaît le corps droit, statique, tel une colonne de soutien sur laquelle s’appuie l’édifice. La figure du Christ est plus majestueuse encore par la préciosité de son manteau bleu lapis-lazuli dont la bordure est peinte à la feuille d’or, et qui tranche sur tant de couleurs claires.
Les coloris sont lumineux : de doux orangés, des verts tendres, des roses légers et des bruns colorent les vêtements. Jérusalem elle-même apparaît dans des teintes joyeuses. Les couleurs chatoyantes, les remparts crénelés, les tours et les habitations ornées de loggias font de ce lieu la cité céleste. On reconnaît le style précieux de l’école siennoise.
Encadrant Jésus, deux groupes bien distincts : les disciples, à sa suite, tournés les uns vers les autres en autant de discussions, et les habitants venant à sa rencontre . Dans la foule compacte qui sort de la ville par une porte à la voûte ornée d’étoiles, on distingue des hommes de tout âge, des femmes et des enfants. Les quatre évangélistes racontent que la foule accueille Celui qui vient au nom de Seigneur, le roi d’Israël, avec des "Hosanna", acclamation hébraïque signifiant "sauve-moi, je te prie". Jésus les bénit de ses deux doigts levés, signe de sa double nature, divine et humaine. Les personnages de la foule sont dépeints dans des attitudes multiples mais tous manifestent la même attention. Ils désignent et reconnaissent Celui qui vient à eux, qui est l’incarnation de la promesse messianique.
Au premier plan, chacun enlève son manteau pour le jeter sous les pas de l’ânesse, en signe d’humilité. Devant Celui qui apporte la délivrance, le vêtement protecteur n’est plus nécessaire. "Les gens jetaient leurs habits par terre sur son passage, d’autres coupaient des rameaux des arbres et en couvraient le chemin" (Mt 21, 8). On les voit ces habitants, les plus jeunes, monter dans les arbres et tendre la main vers le haut.
Le roi victorieux annoncé par le prophète Zacharie est monté humblement à califourchon sur un âne. Dans la tradition orientale, l’âne est un animal de paix, le cheval servant essentiellement à la guerre. Jésus entre ainsi dans Jérusalem comme prince de la paix et rappelle les paroles du Livre de Zacharie : "Exulte de toutes tes forces, fille de Sion ! Pousse des cris de joie, fille de Jérusalem ! Voici ton roi qui vient à toi : il est juste et victorieux, pauvre et monté sur un âne, un ânon, le petit d’une ânesse" (Za 9,9). De plus, en hébreux, le mot "âne" a la même racine que le mot "matière". Le Christ chevauchant l’âne est le signe de l’Esprit qui maîtrise la matière. C’est la troisième fois, dans l’histoire de Jésus, qu’un âne joue un rôle, et non des moindres : à sa naissance dans l’étable, lors de la fuite en Egypte et à son entrée à Jérusalem.
Un personnage à genoux devant Jésus et qui jette son manteau sous les pieds de l’ânesse et de l’ânon porte une robe rose, couleur liée au Christ et signe de régénération. Peut-être symbolise-t-il l’homme nouveau, se dépouillant du vieil homme.
III. L’Entrée du Christ dans Jérusalem, Antoon Van Dyck (1617).
Huile sur toile. 151cm x 229cm. Indianapolis Museum of Art.
Considéré par Rubens comme le meilleur de ses élèves, Van Dyck est âgé de seulement dix-huit ans quand il exécute ce tableau.
L’œuvre est conforme au récit biblique. L’artiste emprunte à son maître la puissance des figures, mais son interprétation de la scène est toute personnelle. Le cadrage est resserré sur les nombreuses figures et, à l’arrière-plan, les nuages chargés qui arrivent au loin, confèrent à l’œuvre une dynamique et préfigurent le drame.
Le peintre a placé le Christ au centre de la toile, vêtu d’une robe bleue et d’un manteau rouge cramoisi dont les drapés enveloppent presque entièrement l’âne qu’il chevauche. Le pied nu de Jésus sort de la robe. La lumière qui se pose dessus met en évidence le talent du peintre à rendre l’ossature et les nervures de ce pied qui apparaît bien humain.
L’importance du moment est donnée à Jésus et à ses disciples qui, éclairés par une lumière surplombante et occupant la presque totalité de la surface de la toile, nous laissent deviner leur état d’esprit. Certains suivent le Christ en discutant. On reconnaît Jean, le plus jeune. Un autre à droite du tableau lève les bras. Au premier plan, un homme à la musculature marquée se baisse, une branche à la main. La tête tournée vers la scène, il établit un lien entre le spectateur et le Christ, nous invitant à le suivre. Le bleu de son manteau rappelle celui de l’apôtre Pierre, le plus âgé, qui se tourne vers Jésus en lui montrant du doigt la foule qui se presse. Des mains se lèvent. Un homme jeune agrippe le tronc d’un palmier, sans doute pour y monter. En bas à gauche, dans la pénombre, un homme pose son manteau sous les pas de l’âne. Le Christ s’enfonce dans cette foule compacte dont on ne sait pas si elle est accueillante ou hostile. Et les apôtres ne semblent pas rassurés.
L’agitation des personnages, les drapés, les couleurs vives et le naturalisme de la scène attestent du style baroque. Surtout, ils confèrent aux personnages une immédiateté extraordinaire, au service du récit et du drame.
IV. Entrée à Jérusalem, Arcabas ( vers 1980)
Huile sur toile et or fin
Jean-Marie Pirot, plus connu sous le nom d’Arcabas, est un peintre et un sculpteur reconnu en France et à l’étranger pour son importante production dans le domaine de l’art sacré contemporain. Il introduit dans les sujets sacrés, comme ici, une universalité qui dépasse largement les cadres bibliques. Son œuvre se caractérise notamment par le mariage d’écritures abstraites et figuratives, et par l’usage d’un chromatisme intense et l’application de feuilles d’or.
Dans un premier temps, le regard du spectateur est attiré vers une grande porte située dans une longue muraille. C’est la porte d’une ville. Elle est inclinée, comme si elle allait tomber. Est-elle réellement ouverte ? Elle donne sur un lieu clos, comme un tombeau. Le noir et le rouge cramoisi évoquent la violence et la mort. Pourtant, le fronton couleur or, signe de résurrection, fait penser à un porche de gloire.
Accompagné de trois de ses disciples dont on distingue mal les traits, Jésus, assis à califourchon sur un âne, avance vers cette porte qui le mène dans la ville de Jérusalem. Ses traits sont effacés mais il paraît plus grand que les autres personnages représentés sur la toile. Aucun ne porte d’auréole. Dans la foule qui l’acclame, l’un des personnages lui désigne l’entrée. Jésus avance vers sa mort et sa résurrection. Sa robe aux dégradés de bleu porte le signe de la croix.
Dans la foule amassée à la porte de la ville, des hommes et des femmes le regardent avec étonnement. La bouche ouverte, le personnage situé en bas à droite du tableau semble crier quelque chose. Est-ce un "Hosanna" ? Une femme tient un rameau. Plus loin, un autre a les bras levés et acclame le Christ.
Au-dessus de la muraille, des nuages s’amoncellent dans le ciel, signe du drame qui va se jouer.
La liturgie du dimanche des Rameaux nous donne à lire deux textes d’Evangile : l’entrée messianique du Christ à Jérusalem et le récit de sa Passion. Nous commençons la Semaine Sainte par une procession, une marche derrière la croix, tournés vers le but de notre vie : la Jérusalem céleste. C’est la marche du disciple. Ce rite nous fait entrer symboliquement dans la Jérusalem éternelle. Rameaux en mains, nous suivons Jésus mort et ressuscité, et nous exprimons ainsi notre espérance : entrer dans la mort et la gloire avec lui.